CHRONIQUE DU TRANSFERT DES DEPOUILLES DE BRAZZA (SUITE)

générations à venir si son histoire est racontée dans tous ses aspects. Notamment, on estime que plutôt que montrer son travail de représentant de l’autorité coloniale Française il faudrait mettre en évidence sa façon originale d’approcher les Africains par le respect mutuel, et diffuser l’histoire oubliée de son projet utopique d’un colonialisme « différent » ; en effet il avait poursuivi constamment ce projet malgré la série de sacrifices que cet idéalisme lui avait imposé, tels que sa mise en congé en 1898 ainsi que sa mort pendant la mission d’enquête de 1905.
En considérant la difficulté de se rapprocher aux problèmes internes du pays et pour éviter les risques qui impliquerait une intervention dans la sphère politique interne, le conseil de famille décide de baser son action sur : (1) la solidarité avec la population Congolaise, d’où le souhait de la famille de faire en sorte que le transfert soit une occasion d’améliorer les conditions de vie des Congolais de façon tangible, en encourageant une série d’interventions visées à restaurer la provision de services essentiels pour la population ; (2) l’originalité du rapport de respect mutuel entre Brazza et Makoko Ilo, d’où la nécessité de célébrer leur alliance plutôt que de mettre en lumière la figure du colonisateur Brazza ; (3) le lien de sang qui existe entre les héritiers de Brazza et le Makoko, d’où le désir des héritiers que la cérémonie d’inauguration du mausolée se déroule en présence du Makoko Auguste Nguempio ; (4) l’insistance sur le respect du caractère chrétien du repos éternel de l’explorateur. A la suite de la réunion du conseil, 15 de ses membres décide d’envoyer une série de lettres aux autorités Congolaises et Françaises qui participent à l’événement, parmi lesquels Denis Sassou-Nguesso et Jacques Chirac, afin de les remercier pour l’initiative de célébrer leur ancêtre et de leur communiquer les 4 points ci-dessus.23
Après une rencontre avec les représentants de la fondation, qui a lieu le 11 mars 2006, le rôle de Corrado et Roberto Pirzio-Biroli, les enfants de Detalmo, devient de plus en plus important ; leur père, âgé de plus de 90 ans, est affaibli par des problèmes de santé ; il semble ne pas être toujours capable de prendre des décisions et se trouve de plus en plus exclu de l’affaire. Detalmo Pirzio-Biroli meurt à la fin du mois de mars 2006. En adoptant la position du gouvernement Congolais qui classifie le problème du faux roi comme une dispute ethnique entre les Téké, Corrado et Roberto Pirzio-Biroli décident de ne pas vouloir rentrer dans les détails de l’organisation du transfert et de l’inauguration du mausolée. Les raisons de cette décision ne sont pas claires ; on vient à connaissance d’une candidature de Corrado Pirzio-Biroli comme représentant de l’Union Africaine (présidé à l’époque par Sassou-Nguesso) auprès de l’UE, d’un engagement de l’architecte Roberto Pirzio-Biroli dans la finalisation du projet du mausolée, et d’un financement de la Fondation Brazza pour la restauration de la demeure des Pirzio-Biroli au Frioul. Cette décision est accompagné par un travail de désinformation parmi les autres héritiers, qui oscille entre, d’un côté, de vagues promesses à propos des demandes des Téké et de l’Eglise Congolaise, et, de l’autre côté, la menace de graves conséquences pour la stabilité du Congo en cas d’intervention des héritiers Brazza dans le déroulement des cérémonies.

exercés par les compagnies coloniales. Après le départ de celui-ci, le territoire du Congo est partagé parmi environ 40 compagnies concessionnaires, auxquelles l’administration coloniale concède des pouvoirs presque illimités sur les ressources et les habitants. Dans les premières années du XX siècle, le scandale du « caoutchouc rouge » éclate en Europe ; malgré le fait que le centre de ce scandale était le Congo Belge, les nouvelles sur les épisodes de violence au Congo Français touchent l’opinion publique. Le gouvernement Français, en craignant l’organisation d’une enquête internationale, rappelle Brazza en service et l’envoie au Congo afin de conduire une enquête sur ces épisodes. Après avoir constaté que les violence étaient une conséquence du système d’exploitation mis en place par les compagnies concessionnaires, avec la complicité de nouveaux administrateurs, Brazza meurt à Dakar pendant le voyage de retour. Sa femme Thérèse a soutenu qu’il avait été empoisonné avant son départ de Brazzaville. Le parlement français vote de ne pas publier le rapport sur sa dernière mission.
23 Voir la lettre à Chirac dans les annexes.
Evidemment, l’entrée d’autres héritiers dans l’affaire du transfert est considéré une menace pour le rôle de guide que les Pirzio-Biroli se sont attribués. Les négociations entre les 15 héritiers Brazza et les autorités Congolaises

Les lettres envoyées par un groupe d’héritiers Brazza ne provoquent aucune réaction de la part des destinataires; de plus, les préparations pour l’initiative continuent. Le conseil de famille se trouve face à des circonstances qui demandent un engagement profond ; avec le consensus et le soutien de la majorité des héritiers vivants de Brazza, les 15 signataires des lettres envoyées à Sassou-Nguesso et Chirac décident de s’engager à fond dans la question et de nommer un avocat avec le mandat de défendre leurs intérêts dans l’organisation du transfert : la choix tombe sur Maître Erich Ravinetti, connu pour avoir défendu avec succès divers clients dans des actions légales contre le régime de Sassou-Nguesso. Maître Ravinetti prend le mesures nécessaires pour communiquer aux autorités Congolaises, Françaises et Algériennes l’intention de ses clients, à savoir celle de suspendre le transfert.
A la suite de ces menaces, la Fondation Brazza contacte les 15 héritiers et leur propose de participer à une rencontre entre ses représentants, des émissaires du gouvernement Congolais, et l’ensemble des héritiers de Brazza. Cette rencontre a lieu dans la soirée du 10 septembre 2006 à Rome dans une salle souterraine du luxueux hôtel Esedra à la présence des 15 héritiers qui avaient protesté pour lés modalités du transfert, de Corrado et Roberto Pirzio-Biroli, des représentants de la Fondation Brazza, parmi lesquels Belinda Ayessa et des autorités Congolaises comme Mamadou Kamara-Dekamo, ambassadeur du Congo en Italie, et Hugues Ngouelondélé, maire de Brazzaville et beau-fils de Sassou-Nguesso ; ce dernier, en tant que Téké, cherche d’exercer la fonction de médiateur entre la fondation et les 15. Cette réunion, caractérisée par une atmosphère tendue, termine à 3h du matin avec la rédaction d’un communiqué de presse qui annonce l’intention de la fondation d’assurer la participation du Makoko Nguempio aux cérémonies et de transporter à Brazzaville les pierres tombales de la tombe Brazza d’Alger, qui contiennent le symbole de la croix. Les représentants de la fondation s’engagent à publier le communiqué sur le site internet des Dépêches de Brazzaville en une semaine. La promesse n’est pas tenue et le 24 septembre les 15 héritiers chargent Maître Ravinetti d’accomplir les procédures pour arrêter le transfert comme prévu par le droit international.
Bien que la rupture semble définitive, une nouvelle voie de négociation est ouverte per des autorités Italiennes: Liliane Murekatete, conseiller pur l’Afrique du Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères Italiennes, se met en contact avec les 15. Son message est clair : arrêter le transfert au dernier moment peut produire des effets très négatives pour la stabilité du Congo et pour la sécurité des membres de la cour royale Téké. Les héritiers de Brazza ont la possibilité d’ouvrir un processus de négociation avec le pouvoir Congolais pour modifier le caractère de l’événement et chercher de faire en sorte que les célébrations portent des bénéfices à la population du Congo et que l’initiative perde son caractère de révisionnisme de l’œuvre colonisatrice française. Les 15 décident de suivre son avis et de participer à une rencontre avec Sassou-Nguesso, qui se trouve à Naples. Idanna Pucci et Pietro di Serego Alighieri, en qualité de représentants du groupe des 15, se rendent à Naples le 26 septembre accompagnés par Mme Murekatete. Un membre de la cour royale Téké, a été amené à Naples avec l’entourage de Sassou-Nguesso, et, au cours de la rencontre qui a lieu avec les deux représentants des 15 avant l’entrevue avec Sassou-Nguesso, il fait comprendre que sa fonction est celle de faciliter la recomposition de la rupture entre les 15 et les autorités Congolaises. L’impression est qu’il se trouve forcé à exercer ce rôle et est divisé entre la fidélité à son lignage et la puissance du pouvoir politique Congolais ; il évite, donc, de proposer une stratégie concrète pour un compromis. Sassou-Nguesso reçoit les deux représentants dans une chambre blindée d’un hôtel de Naples, à la présence de Mme Murekatete comme témoin ; les représentants ouvrent l’entrevue en exprimant à nouveau les soucis sur le déroulement du transfert qui ont poussé le 15 à s’y opposer. La réaction du président Sassou-Nguesso est dure : il accuse ses interlocuteurs de vouloir arrêter un événement international, planifié depuis longtemps, et de nuire à l’image du Congo seulement pour des « détails », et il demande les raisons qui ont amené les 15 à s’adresser à un avocat. Les deux héritiers Brazza répondent en soulignant que la raison de leur opposition est le manque de bonne foi des représentants de la Fondation, et que les 15 ne considèrent pas les problèmes qu’ils ont soulignés comme des détails ; les objections de la famille regardent des aspects fondamentaux de l’opération, notamment l’image de Brazza chez le peuple Congolais, le lien entre l’explorateur et le Makoko, le respect des traditions chrétiennes selon lesquelles leur ancêtre a été enterré à Alger. Sassou-Nguesso ne montre aucune sensibilité pour les préoccupations et les demandes de ses interlocuteurs, et renouvelle sa requête de retirer leur opposition sur le transfert dans un délais de 24 heures. La rencontre avec Sassou-Nguesso se termine donc sans avoir atteint aucun résultat. Idanna Pucci et Pietro di Serego décident de rentrer à Florence, leur ville de résidence, persuadés de continuer les actions légales pour arrêter le transfert. Liliane Murekatete, étonnée par l’agressivité de Sassou-Nguesso, qu’elle a connu comme un homme équilibré et raisonnable à d’autres occasions, décide de rester à Naples pour tenter un dernier effort de médiation avec l’aide de l’ambassadeur Kamara-Dekamo. Après quelques heures, M. me Murekatete apprend que, avant le rencontre avec les deux représentants, Sassou-Nguesso a longuement rencontré Jean Paul Pigasse, qui a communiqué à Sassou-Nguesso son avis défavorable sur les 15 héritiers et qui a provoqué la réaction agressive du président face à leurs représentants.
Le jour suivant (27 septembre), Mme Murekatete communique aux 15 héritiers le succès de sa médiation : Sassou-Nguesso a déclaré l’intention de signer un accord avec eux pour régler le déroulement du transfert. Giannozzo Pucci, Idanna Pucci et Pietro di Serego Alighieri se mettent au travail, en suivant l’avis de Maître Ravinetti, pour rédiger le texte de l’accord. Mme Murekatete les rejoint à Florence pour collaborer. Les heures suivantes (jusqu’à 12h du 28 septembre) sont consacrées aux négociations sur les points de l’accord avec les représentants de Sassou-Nguesso (M. Kamara-Dekamo et M. Ngouelondélé). C’est à ce moment que les représentants Congolais font savoir que Sassou-Nguesso a changé d’avis et demande que l’accord soit signé par un représentant de la Fondation Brazza à sa place. Les représentant des 15 réagissent en se rendant à l’ambassade du Congo à Rome pour présenter aux autorités congolaises une dernière version de l’accord. Maître Ravinetti a alerté les autorités à Alger : si Sassou-Nguesso n’acceptera pas de signer l’accord, le transfert sera interdit comme prévu par la loi.
Le 29 septembre Sassou-Nguesso accepte de signer l’accord27, qui prévoit : (a) le respect du repos de Brazza : la bénédiction du mausolée, la célébration d’une messe à Brazzaville, le transport des pierre tombales historiques d’Alger ; (b) l’entretien des lieux liés à la mémoire de Brazza : la restauration du Lycée Pierre Savorgnan de Brazza, du dispensaire de Mbe et de la route la reliant à Brazzaville. (c) La participation du Makoko Nguempio et de la Ngalifourou Ngassa à l’inauguration du mausolée ; (d) la participation des représentants des 15 signataires aux célébrations : 2 d’entre eux seront présents à l’exhumation à Alger et 8 seront invités aux cérémonies à Brazzaville. Les autorités Italiennes, malgré leurs promesses et les demandes des 15, refusent de se faire garants de l’accord pour des raisons diplomatiques ; en effet, le vice-ministre Sentinelli se trouve au centre des négociations pour la réduction de la dette avec les représentants de la République du Congo. Ces négociations vont produire de maigres résultats sur le front du développement du Congo, mais seront fondamentales pour la croissance du rôle de l’ENI dans l’exploitation du pétrole Congolais.28 Donc, l’accord sera simplement transmis aux autorités Italiennes et Françaises.

27 L’accord prévoit les engagements suivants:
1. Le respect du repos de Brazza :
o la bénédiction du lieu du repos de Brazza et la célébration d’une messe à Brazzaville pendant les célébrations;
o le transport des pierre tombales et du buste qui se trouvent sur la tombe d’Alger ; o la présence du symbole de la croix sur la tombe de Brazza et sur celles de ses enfants ; o le transport des dépouilles dans la cathédrale de St. Anne en cas de destruction du mausolée.
2. L’entretien des institutions liées à la mémoire de Brazza :
o la restauration du Lycée Pierre Savorgnan de Brazza et de l’école de peinture de Poto-Poto ; o la restauration et l’approvisionnement du dispensaire de Mbe avec tous les instruments nécessaires ;
o la construction d’une route goudronnée pour relier Mbe à la route nationale pour Brazzaville.
3. Le respect du lien entre les héritiers Brazza et le Makoko :
o l’invitation du Makoko Nguempio, de la Ngalifourou Ngassa, du premier vassal et de la cour royale Téké à l’inauguration du mausolée ;
o la construction d’une statue de Ilo a coté de celle de Brazza devant le mausolée.
4. La participation des représentants des 15 signataires aux célébrations :
o 2 d’entre eux seront présents à l’exhumation à Alger et suivront les dépouilles jusqu’à
Brazzaville ; o 8 d’entre eux seront invités aux cérémonies à Brazzaville. Voir le texte de l’accord et le communiqué de presse attachés.
28 En effet, le programme d’annulation de la dette est arrêté quand la Banque Mondiale constate l’incapacité du gouvernement Congolais de respecter les conditions de transparence et lutte à la corruption prévues dans le cadre de la conditionality. Cependant, en 2008 l’ENI a lancé de nouveaux programmes d’exploitation pétrolière ( inclus un projet d’exploitation des oil sands (sables riches en pétrole) qui constitue une sérieuse menace à l’environnement des régions côtières du Congo.
2. LE TRANSFERT DES DEPOUILLES

L’exhumation à Alger

Le 30 septembre, en qualité de représentants de 15, le journaliste Christian Campiche et Pietro di Serego Alighieri partent pour Alger. Un dépistage orchestré par le personnel Congolais et Français à l’aéroport de Paris empêche Christian Campiche de prendre l’avion qui transporte les autorités Françaises à Alger. Pietro di Serego Alighieri voyage de façon autonome jusqu’à Alger, où un envoyé de l’ambassade du Congo essaye de l’empêcher de se rendre au cimetière Bru ; cependant, il arrive au cimetière où il rencontre Nicole Leghissa, une réalisatrice qu’on a fait ‘infiltrer’ parmi les journalistes qui arrivent avec le vol de Paris. Depuis janvier 2006, Mme Leghissa travaille avec la collaboration de Pietro di Serego Alighieri à un documentaire sur l’histoire de Brazza et sur l’affaire du transfert de ses dépouilles.
L’exhumation a lieu dans une atmosphère de tension, en présence de trois héritiers de Brazza, de Pierre-Antoine de Chambrun, de Jean Paul Pigasse, d’un groupe d’autorités Congolaises, Gabonaises et Algériennes, parmi lesquels l’ambassadeur Congolais Jean-Baptiste Dzangue et le consul de France en Algérie, Francis Heude, ainsi que d’un groupe de personnalités inconnues ; on apprend qu’il s’agit d’un « commando » d’éminences grises, vraisemblablement liées aux loges maçonniques et à certains financeurs du mausolée. La tombe a visiblement été l’objet d’entretien récent ; les briques qu’en ferment l’entrée sont de fabrication récente. Pendant l’exhumation, les opérateurs du cimetière empêchent le public de se rapprocher de la tombe pour observer l’état des dépouilles, et communiquent qu’une « infiltration d’eau » a endommagé le cercueil et qu’il faut extraire les restes de Brazza, de sa femme et de ses enfants, en morceaux qui sont introduits dans des sacs en plastique. On indique un crâne comme appartenant à l’explorateur ; Roberto Pirzio-Biroli demande et obtient d’avoir un échantillon de cheveux pour le faire analyser dans le but de connaître la vérité sur la thèse de l’empoisonnement soutenue par la femme de l’explorateur.
Le jour suivant, la délégation qui accompagne les dépouilles de l’explorateur se retrouve à l’aéroport d’Alger ; un retard d’environ 4 heures permet à ses membres de parler de la vie et de l’œuvre colonisatrice de Brazza. Evidemment, la connaissance du personnage par la majorité des membres de la délégation est limitée au faite que Brazza avait exploré le Congo et fondé la colonie Française. Quand la conversation touche l’organisation du transfert, Pietro di Serego Alighieri cite les négociations entre les héritiers et Sassou-Nguesso ; dès que les ambassadeurs du Gabon et du Sénégal, présents à l’aéroport, s’intéressent à la question, il leur donne une copie de l’accord. Roberto Pirzio-Biroli et Jean Paul Pigasse cherchent de minimiser l’importance de l’accord, en refusant de reconnaître sa valeur. De plus, M. Pigasse déclare que Pietro di Serego Alighieri est « l’un de nôtres », vraisemblablement en faisant référence au réseau maçonnique qui a joué un rôle important dans l’organisation du transfert. M. di Serego Alighieri s’oppose à l’idée de cette affiliation. Vers midi la délégation s’embarque sur un vol spécial.

Première étape : Franceville

Après avoir accompli en quelques heures le voyage auquel Brazza avait consacrée plusieurs années de sa vie, les restes de l’explorateur atterrissent à Franceville, petite ville fondée par Brazza même, proche des sources de l’Ogoué et première étape de son dernier voyage en Afrique Sub-Saharienne. Les coffres qui recueillent les dépouilles de l’explorateur et de sa famille sont à la tête d’une parade militaire dans les rues de la ville ; les célébrations se déroulent dans une grande place à la présence de nombreuses autorités Gabonaises et Congolaises, parmi lesquelles Omar Bongo, Denis Sassou-Nguesso et Jean-Marc Simon, ambassadeur de France au Gabon. Dans les jours précédents, Franceville a été le siège d’un colloque, au cours duquel de nombreux académiciens Gabonais et Congolais ont remarqué le rôle de Brazza comme « agent de l’impérialisme colonial » et le caractère paradoxal de ces célébrations autour de la figure d’un colonisateur blanc. A l’occasion de discussions avec Pietro di Serego Alighieri, les académiciens soulignent le caractère utopique du projet des 15 héritiers de faire de l’histoire de Brazza une occasion pour une réflexion critique sur la période coloniale, en remarquant la difficulté de parler de l’œuvre de Brazza comme différente de celle d’autres colonisateurs; cet utopisme, comme celui de Brazza lui-même, est peut-être la conséquence d’une idéalisation de la France. De plus, les 15 ont sous-estimé l’importance de l’héritage colonial dans les relations franco-africaines; en effet, l’image de Brazza est pour les autorités Françaises et pour les hommes politiques des anciennes colonies africaines un instrument parfait pour renforcer leur liens à travers une « apologie du colonialisme ».
L’intégrité de Brazza et l’œuvre de « colonialisme doux », qu’il avait conçus, sont utilisés dans le cadre de la pédagogie coloniale et postcoloniale pour cacher les horreurs commises par les compagnies concessionnaires et par les administrateurs leur complices. Comme aux temps de la décision du parlement Français de ne pas publier les résultats de l’enquête de 1905, les contrastes entre Brazza d’un côté et les administrateurs et les compagnies de l’autre sont un chapitre de l’histoire qui se voit confinée dans les archives et dans la recherche académique.
Pendant la soirée, des représentants des autorités Gabonaises, proches du peuple Téké du quel Bongo fait partie, expriment leur gratitude pour l’engagement des 15 et leur succès qui a permis la reconnaissance du pouvoir traditionnel Téké par les autorités Congolaises et la participation de la cour royale aux cérémonies de Brazzaville. L’atmosphère montre le fait que l’affaire du transfert a provoqué des tensions entre Bongo et son beau fis Sassou-Nguesso; le pouvoir Gabonais s’est trouvé face aux ambitions internationales du pouvoir Congolais, qui menace son rôle de puissance régionale et de principal dépositaire africain de la relation entre les états de l’ancienne Afrique Equatoriale Française et la métropole.

Brazza à Brazzaville

Le 2 octobre la délégation arrive à l’aéroport de Brazzaville. Le cercueil de Brazza, couvert par un drapeau Français, est porté par un group de marins Congolais; ils sont habillés comme des soldats coloniaux, ce qui fait bien comprendre le caractère de l’initiative. Les membres de la délégation sont accueillis par les autorités Congolaises et par les invités arrivés de Paris à Brazzaville avec un vol Air Maroc . Ces invités incluent 8 représentants des signataires de l’accord, Corrado Pirzio-Biroli, son enfant Federico, Ginevra Serego Alighieri et Speronella Savorgnan di Brazzà. Un groupe de représentants de la cour royale Téké, guidé par le premier vassal , est présent à l’accueil mais exclu des événements ; les représentants des 15 signataires se rendent de leur gré à rendre hommage aux représentants des Téké. Les soldats de la marine Congolaise, en chantant leur hymne officiel, déposent les cercueils de Brazza, de sa femme et de ses enfants sur un véhicule. Une parade de voitures parcourt les boulevards de Brazzaville, remplies par une foule de curieux, parmi lesquels certains qui montrent de ne pas être particulièrement heureux, et par des groupes de danseurs en fête. On apprendra qu’un grand numéro de Brazzavillois a été payé pour participer à ce chaleureux accueil. Des grands panneaux montrent des images de Brazza, de Sassou-Nguesso et du Makoko Mbandiélé (successeur d’Ilo I), évidemment confondu avec Ilo I. D’autres panneaux montrent Chirac, Bongo et Sassou-Nguesso dans le moment de pose de la première pierre du mausolée. Au deuxième plan apparaissent les tours de TotalFinaElf qui se trouvent à Brazzaville et à La Défense.
Les cercueils sont amenés à l’église du Saint Esprit, là où une messe est célébrée par le nonce apostolique au Congo, Monseigneur Andreas Carrascosa Cosa. Dans l’atmosphère joyeuse qui caractérise les célébrations religieuses Congolaises, le nonce ne manque pas de souligner que Brazza a passé quelques années « en dehors de la grâce de Dieu », mais qu’il a su se repentir ; évidemment, il fait allusion à l’engagement de Brazza dans la franc-maçonnerie, terminé avec ses démissions de l’organisation en 1904, motivées par la complicité des francsmaçons dans les brutalités des compagnies concessionnaires au Congo. Ensuite, les cercueils sont déposés devant la mairie centrale, à côté du mausolée.
Pendant le reste de la journée les héritiers Brazza ont la possibilité de se déplacer dans la ville. La majorité n’a aucune expérience de Brazzaville ni de l’Afrique Subsaharienne, et peut enfin remarquer l’absence de quelconque forme d’investissement publique finalisé à garantir les services essentiels pour la population. Cependant, la population ne manque jamais d’exprimer son respect pour la « famille de Brazza » ; on apprend que l’arrivé du Makoko à Brazzaville, événement historique à cause la prohibition traditionnelle pour le roi de se déplacer de Mbe, a été fêté par un grand numéro de Téké le 1er octobre. Le soir, un concert a lieu devant le mausolée ; les héritiers de Brazza occupent leurs places mais bientôt on se souvient que les Brazzavillois attirés par la musique de plusieurs artistes congolais et franco-congolais sont séparées des « VIP » par un cordon de policiers. En provoquant quelques tensions avec la police, les jeunes de la famille Brazza insistent pour passer de l’autre coté du cordon; bien que le mécontentement provoqué par le mausolée soit tangible, l’accueil des brazzavillois est chaleureux. On parle de l’accord et de l’importance de faire connaître à la population les engagements pris par le gouvernement. Cependant, en se promenant à Brazzaville pendant la soirée, on s’aperçoit que la ville est dans un curieux état de couvre-feu, vraisemblablement une ultérieure expression du fait que pour les Congolais l’inauguration du mausolée n’est pas une occasion à fêter.
De plus, une contre-propagande souterraine mais bien orchestrée par des opposants politiques ne manque pas de se faire entendre à travers la diffusion d’articles, pamphlets et émissions radio.
Pendant les jours des célébrations, les représentants des 15 ont l’occasion de répondre aux questions des medias locaux et internationaux; lors de ces entrevues, il cherchent de répondre aux critiques en expliquant que les héritiers étaient sensibles aux problèmes soulevés par l’initiative ; ils soulignent l’engagement des 15 héritiers et diffusent le contenu de l’accord signé par Sassou-Nguesso. Cependant, ils s’aperçoivent de plus en plus que l’accord n’a pas eu le résultat de modifier la perception de l’événement auprès des Congolais et de l’opinion publique internationale. En effet, la Fondation Brazza et le gouvernement Congolais ne se sont pas montrés intéressés à rendre publiques les engagements prévus par l’accord, afin de démentir les critiques des medias. L’adoption de l’idée de célébrer l’originalité de l’alliance pacifique et égalitaire entre Brazza et le Makoko plutôt que la figure du colonisateur se révèlent au delà des intérêts des organisateurs du transfert, malgré le fait que ce changement aurait pu calmer au moins le criticisme de la presse internationale. Evidemment, on craint que remarquer l’originalité de l’approche de Brazza puisse souligner son opposition aux compagnies et impliquer un débat sur les méthodes de la colonisation française.

L’inauguration du mausolée

Le 3 octobre, tous les personnages engagés dans l’affaire du transfert se retrouvent sur l’esplanade devant le mausolée. Omar Bongo, Philippe Douste Blazy le ministre Français des affaires étrangères; à leur côté se trouvent Jean Paul Pigasse, Belinda Ayessa et les représentants de la Fondation Brazza ; les héritiers de Brazza occupent les sièges a coté de ceux destinés aux régnants Téké. Le Makoko Auguste Nguempio et la Ngalifourou Ngassa arrivent entourées de leurs courts et par la musique et les danses des jours de fête. Ensuite, Denis Sassou-Nguesso fait son entrée accompagné par sa femme et par la musique d’une bande militaire; avant de prendre sa place, entouré par les applaudissements du public, il va à rendre hommage au Makoko et à la Ngalifourou.
Au début de la cérémonie, pendant plus d’une heure, Omar Bongo, Denis Sassou-Nguesso, Philippe Douste Blazy, Hugues Ngouelondélé, et d’autres personnalités se succèdent à plusieurs reprises sur la scène où il reçoivent les médailles d’honneur Françaises, Congolaises et Gabonaises. Ensuite, les allocutions des autorités se déroulent selon l’idée que l’importance d’un discours se juge d’après sa durée; à la fin, la cérémonie se termine par l’allocution d’un représentant de la cour royale Téké et par les interventions des héritiers Brazza. Ensuite, les cercueils sont transportés dans le mausolée, suivis par SassouNguesso, Douste Blazy et Bongo.
Dans le bâtiment construit par les héritiers des compagnies concessionnaires qui avaient exercé des pressions sur le gouvernement Français pour la mise en congé du Commissaire General Brazza, même la climatisation semble démentir les mots des autorités qui ont décrit l’événement du transfert de Brazza comme un « retour parmi les siens ».
Au cours de l’après-midi, les héritiers de Brazza sont reçus dans la maison forteresse de Sassou-Nguesso. Après une attente de deux heures, sans doute une forme de punition pour l’embarras que les 15 ont causé, le président offre une boisson aux héritiers Brazza et se réjouit des félicitations de Corrado Pirzio-Biroli, qui, à l’étonnement des autres héritiers, remet au président un coffre avec les cendres de son père Detalmo, en priant de les colloquer à l’intérieur du mausolée a côté des dépouilles de Brazza. Les célébrations se concluent dans la soirée par un dîner organisé à l’abri d’énormes tentes placées à coté de la présidence.
Le jour suivant, les héritiers rentrent en Europe avec l’avion officiel, sur lequel se trouvent réunis ceux qui ont participé au transfert. Sur les sièges de première classe, les « éminences grises » et les Pirzio-Biroli. Derrière, les journalistes, les musiciens, les intellectuels qui ont étés convoqués dans le cade de l’événement, avec les représentants de 15 héritiers.
Idanna et Giannozzo Pucci décident de rentrer plus tard de Brazzaville, et sont reçus par le Makoko Nguempio; ce dernier, en soulignant la force du lien entre les Téké et les héritiers Brazza, exprime sa gratitude pour l’engagement des 15 qui a été déterminant pour la reconnaissance de son autorité de la part du gouvernement Congolais; de plus, le Makoko exprime l’espoir que le gouvernement respecte les engagements de l’accord.

Impressions

Malgré les concessions faites aux Téké, on peut affirmer que le transfert des dépouilles de Brazza s’est déroulé comme prévu par ses organisateurs Congolais. En effet, tous les héritiers, les Pirzio-Biroli d’un côté et les 15 signataires de l’accord de l’autre, se sont trouvés à jouer une partie dans les mécanismes de cette opération sans en connaître en profondeur le fonctionnement, la portée et les implications. Les Pirzio-Biroli ont préféré ne pas se poser la question du respect de la mémoire de leur ancêtre et ne pas recueillir le pari posé par leur ignorance sur la situation congolaise : ils se sont limités à profiter de la possibilité d’apparaître sur la couverture des Dépêches de Brazzaville, de l’hospitalité du gouvernement Congolais dans les grands hôtels d’Alger et Brazzaville, pour lequel ils continuent à exprimer une naïve gratitude, et vraisemblablement d’autres avantages matériels. Au contraire, les 15 ont cherché de toucher avec leurs mains la réalité de la société congolaise. Cependant, leur intervention n’a entravé que une petite partie des implications négatives de l’événement.
En effet, bien que le problème du « faux Makoko » ait été résolu et que l’autorité du Makoko Auguste Nguempio ait été reconnue par Denis Sassou-Nguesso, les engagements prévus par l’accord ont été respectés par le gouvernement congolais seulement pour ce qui concerne le déroulement des cérémonies. Le mausolée reste un énorme monument en marbre à un colonisateur blanc, et, indirectement, à l’œuvre de « civilisation » de la France et au passé colonial. Ce bâtiment, qui se trouve être le monument plus important de Brazzaville, a été construit au centre d’une ville et d’une nation caractérisées par l’absence de n’importe quelle forme d’intervention étatique pour contraster le manque de services essentielles. En 2009, le gouvernement Congolais n’a toujours pas respecté les engagements prévus: le réaménagement du Lycée Pierre Savorgnan de Brazza, la construction de la route et l’approvisionnement du dispensaire de Mbe. Les voix des 15 héritiers, qui ont cru pouvoir faire en sorte que ce transfert soit une occasion pour divulguer l’histoire tragique de Brazza en tous ses aspects, y compris son opposition au système des concessions et sa mise en cause des méthodes de l’administration coloniale au Congo, ces voix ont étés suffoquées.
De plus, l’idée d’utiliser le transfert des restes pour imposer au gouvernement Congolais un effort, bien que modeste, vers l’amélioration des conditions de vie de son peuple, s‘est révélée une utopie. En effet, les 15 ont décidé de rentrer dans les mécanismes du pouvoir et de la société Congolaise sans en connaître les caractéristiques et les équilibres. Pour cette raison, malgré leur bonne foi, ils n’ont pas réussi à modifier le caractère de l’événement : malgré l’octroi de quelques concessions, les organisateurs de l’événement ont atteint leur objectifs. Ca à été accompagné par une campagne de déformation de sa mémoire et d’apologie du passé colonial en conflit avec les idéaux de respect et de nonviolence qui inspirèrent l’œuvre colonisatrice de Brazza. Après plus de 3 ans, il est devenu clair que le transfert a permis l’exploitation de la mémoire de Brazza par les descendants de ses anciens adversaires.

Conclusion. Les interrogatifs du transfert

La majorité des médias qui ont décrit le transfert ont souligné d’un côté le contraste entre le mausolée et la pauvreté des Brazzavillois et de l’autre l’hypocrisie qui se cache derrière la célébration d’un colonisateur blanc dans une ancienne colonie. Ces critiques ne sont pas dues à l’intervention des 15 héritiers, qui ont protesté contre les modalités du transfert.
La sévérité des journaux comme Le Monde et des networks comme la BBC dans le jugement du mausolée et des célébrations était parfaitement prévisible du côté de ces qui ont voulu et organisé le transfert, notamment Denis Sassou-Nguesso, Emmanuel Yoka et Jean Paul Pigasse. Donc, une question reste ouverte : pour quelles raisons a-t-on poursuivi ce projet?
Les avantages matériaux, notamment quelques villas qui ont été construites à Brazzaville et quelque Mercedes qu’on a acheté, ne semblent pas suffisants pour expliquer l’effort -notamment si on considère les montants de revenues pétrolières habituellement détournés par les « hommes du pouvoir » au Congo-. En effet, plusieurs voix indiquent la présence d’au moins deux séries de raisons. La première est constituée par le renforcement du pouvoir du régime de SassouNguesso dans la sphère politique nationale de la République du Congo ; le transfert des restes de Brazza, et la profanation de sa tombe, s’inscrivent dans une « stratégie de la terreur » qui mire à diffuser l’image du président « puissant féticheur » capable d’exploiter le pouvoir des fétiches pour agrandir le sien et contraster ses adversaires. Vraisemblablement, le succès de cette stratégie s’inscrit dans un discours de réappropriation du contrôle sur la sphère corporelle par les Congolais à l’issue d’un procès d’aliénation déterminé par le contact avec les intérêts commerciaux européens et par la recherche de légitimité parmi les nouvelles élites au cours de la période coloniale et postcoloniale.
La deuxième série de raisons insiste sur le renforcement des liens qui connectent entre eux les participants du « pillage à huis clos » des ressources Congolaises sur la scène internationale. Malgré les critiques des médias et le fait que l’événement n’a pas amélioré la perception du régime Congolais au sein de l’opinion publique Française et internationale, on peut affirmer que celle-ci a été pour le régime de Sassou-Nguesso une occasion pour affirmer sa présence dans le cadre des relations « informelles », dans lesquelles on trouve engagés des « messieurs Afrique » plutôt que des institutions. Dans ce sens, l’initiative du transfert, avec les financements et les faveurs qu’elle a permis de distribuer, s’inscrit dans le contexte de la compétition entre différents compagnies et entre les gouvernements des pays auxquels elles sont liée pour s’emparer des droits d’exploitation des ressources naturelles du Congo.
Ce texte n’a pas la volonté de rentrer dans le débat entre ceux qui attribuent les problèmes politiques et sociales du Congo aux influences d’acteurs étrangers et ceux qui insistent sur la prééminence de facteurs locaux dans la détermination des perceptions et des structures qui caractérisent la politique du Pays. Le transfert des dépouilles de Brazza semble plutôt donner de nouveaux éléments pour réfléchir sur les interactions et les dialectiques entre mécanismes locaux et influences extérieures dans la scène politique au Congo.

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Une réponse sur “CHRONIQUE DU TRANSFERT DES DEPOUILLES DE BRAZZA (SUITE)”

  1. Cronoca del transferimento dei resti di Brazza orchestrati dal governo francese e dal governo mafioso guitado da Denis Sassou Nguesso.

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