Dans une lettre adressée au secrétaire général du P.c.t (Parti congolais du travail), Pierre Ngolo, en date du 17 octobre 2012, à Brazzaville, l’ancien ministre à la présidence chargé de la défense nationale, le professeur Charles Zacharie Bowao réagit à la lettre du ministre d’Etat Aimé Emmanuel Yoka, garde des sceaux, ministre de la justice et des droits humains, toujours adressée au secrétaire général du P.c.t et publiée dans l’édition n°3235 de La Semaine Africaine du vendredi 19 octobre 2012. Voici l’intégralité de la lettre du professeur Charles Zacharie Bowao où il souligne que «sur le plan pénal, le juge d’instruction a reconnu l’illégalité de mon inculpation».
«Camarade secrétaire général,
Je viens de prendre connaissance de la réaction du ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des droits humains, à ma déclaration du 7 octobre 2012 en réunion du bureau politique. J’en sais personnellement gré au ministre Aimé Emmanuel Yoka, qui confirme que je ne suis pas condamné, que je bénéficie pleinement de la présomption d’innocence et que je suis totalement libre de soulever les arguments de fait et de droit nécessaires à ma défense. Respect des droits humains oblige!
Je suis disposé à discuter, avec lui, en votre présence ou selon les modalités de votre choix, pour en tirer les leçons, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et de la consolidation de l’Etat de droit dans notre pays. Après tout, en tant que parti de gouvernement, notre responsabilité y est engagée. Pour le bien de nos populations, nous n’avons pas le droit d’amuser la galerie sur une situation aussi tragique que celle de ce dimanche 4 mars 2012. En attendant, j’appelle votre militante attention sur les points suivants:
1- Je n’ai jamais -alors jamais- refusé de déférer aux convocations du juge d’instruction. Au contraire, je n’ai pas reçu de convocation en bonne et due forme confirmant ma deuxième comparution à la date oralement communiquée, comme l’exige la bonne pratique en la matière. Encore que ce lundi 8 octobre 2012, j’ai récusé le juge d’instruction, par lettre adressée au premier président de la cour d’appel, avec ampliations à la chancellerie et au premier président de la cour suprême, par voie d’huissier.
Ce même jour, en fin d’après-midi, j’ai reçu une convocation pour le mardi 9 octobre 2012, à 10h. Ce n’est pas, par conséquent, à la demande du ministre d’Etat que le lendemain je me suis présenté au palais de justice, mais bien par respect justifié de la justice. De tout temps, j’ai toujours collaboré avec la justice, sans faux-fuyants.
En présence de mon conseil, Maître Brudey, Monsieur le juge d’instruction m’a convenablement reçu le mardi 9 octobre 20121, à l’heure indiquée, pour me notifier l’ordonnance par laquelle il se déclarait incompétent d’instruire cette affaire, en ce qui me concerne, renvoyant l’entier dossier au ministère public pour mieux se pourvoir.
C’est dire que sur le plan pénal, le juge d’instruction a reconnu l’illégalité de mon inculpation, en violation de l’article 154 de la Constitution, confirmant le caractère stupide et cavalier de l’acte qu’il venait de poser le 4 octobre 2012. Le ministre d’Etat le sait, dans le cas d’espèce, le juge d’instruction devrait préalablement se poser la question au demeurant préjudicielle de sa compétence avant de prendre une décision aussi gravissime qu’une inculpation qui, d’emblée, installe l’esprit dans la présomption de culpabilité.
Où est donc l’outrage à magistrat dont parle le ministre d’Etat qui semble occulter cet aspect d’illégalité de mon inculpation découlant de la violation de l’article 154 de la Constitution évoqué, illégalité au cœur de ma déclaration du 7 octobre 2012 en réunion du Bureau politique?
Ne l’oublions jamais, nul n’est au dessus de la loi, y compris les magistrats. La République est Une, et Nous ne sommes pas une République des juges.
Alors, quelles conséquences a t-il pu tirer de cette faute grave du juge d’instruction qui a violé la Constitution?
2- En tant que citoyen respectueux des lois et règlements de la République, j’attends éventuellement du garde des sceaux, ministre de la justice et des droits humains, la procédure de ma mise en accusation devant la Haute cour de justice, puisqu’il semble établi, selon sa lettre, qu’après mes deux premières auditions à titre de simples renseignements, le juge d’instruction a retenu contre ma personne le délit d’homicide involontaire par imprudence, maladresse, négligence, inattention et inobservation des règlements.
Je tiens à signaler que, de toutes les hautes autorités politiques et militaires auditionnées, citées en référence par le Ministre d’Etat, à ce jour, curieusement, je suis la seule concernée par une faute pénale ayant conduit à la tragédie du 4 mars, ce que je ne puis accepter en mon âme et conscience. J’insiste qu’il s’agit bien dans cette triste affaire d’une responsabilité civile de l’Etat (donc collégiale ou collective) à caractère indemnitaire, différente de la responsabilité pénale strictement personnelle, et qui pèse sur moi.
Le ministre d’Etat, brillant magistrat de ce pays, est censé ne pas oublier qu’en matière pénale, la loi est d’interprétation stricte, et qu’en la circonstance, l’article 319 du code pénal évoqué trouvera sa juste application: Que ma faute personnelle sera établie. Ce dont je doute, fortement, convaincu d’avoir fait, en tant que ministre en fonction, ce que j’avais à faire, et du mieux que je pouvais.
Personnellement, je ne vois pas au travers de mes deux premières auditions à titre de simples renseignements, le moindre indice susceptible de faire de moi l’auteur de la tragédie du 4 mars… Non. Dans tous les cas, il ne m’appartient pas d’apporter la preuve de ma culpabilité. Voire!
La responsabilité morale, oui! Entendue ici sur le plan strictement éthique, elle procède du sens élevé du devoir politique, autrement dit une prise de conscience citoyenne qui fait assumer virtuellement à chacun, courageusement, sa part d’engagement dans la protection d’humanité, sans préjudice des exigences de l’Etat de droit.
Dans cette optique éthique, la tragédie de Mpila n’est donc pas, en tout cas ne devrait pas être, pour chacun de nous, un phénomène ordinaire, sur fond duquel seraient permises des discussions oiseuses.
Je suis dans une posture renouvelée de noblesse argumentative, à moins que le ministre d’Etat, brillant avocat, veuille bien entretenir une mauvaise querelle, celle dite des émotions, en divaguant ironiquement sur certains passages de ma déclaration, tirés à l’emporte-pièce. Par exemple, dans mon texte, je n’ai nulle part utilisé le concept de «responsabilité morale et collective en matière pénale». C’est de l’amalgame.
3. Oui, à son initiative, le lundi 8 octobre 2012 à 19h30 mn, le ministre d’Etat nous a entretenus à son domicile, mon épouse et moi. Il m’a recommandé, entre autres, l’attitude d’un agneau, lui qui, dans sa lettre, indique sans ambages, «qu’en matière politique, qui se fait agneau, l’opinion le mange».
Quelle belle pointe d’humour! N’est-ce pas une belle enseigne de la servitude volontaire procédant du droit d’aînesse…
En fait, n’est-ce pas cette «attitude d’agneau» qui m’a valu le matraquage médiatique organisé, soigneusement, par des loups pour me dévorer sans pitié, sur fond de déformation machiavélique de ma déclaration du 4 mars 2012? J’en parlerais en temps opportun.
De cet entretien et au regard de la lecture faite par le ministre d’Etat de ma sortie du gouvernement, suivie immédiatement de mon inculpation illégale, ma conviction sur la machination politicienne n’a fait que se renforcer. Je ne sacrifierais pas ma dignité sur l’autel du cynisme et du sadisme.
Je l’ai dit fermement, clairement et poliment au ministre d’Etat, non sans lui avoir recommandé, à mon tour, un peu d’éthique en politique, un tout petit peu quand même, juste un peu d’éthique. Voltaire en dirait plus et mieux…
Cette attitude du ministre d’Etat, pour le moins surprenante, est révélatrice, a contrario, de la frustration dont a toujours été victime l’imagination inventive (créatrice) et critique d’une élite qui a du mal à partager la culture de l’excellence, du mérite et la liberté de jugement, se cantonnant, par responsabilité plus que par conviction, dans ce qu’à travers une éthique contre l’armature du pouvoir, Etienne de La Boetie caractérise, avec pudeur et lucidité, comme étant l’expression de la servitude volontaire. [Discours de la servitude volontaire (1576), texte magnifique s’il en est, toujours d’actualité]
Camarade secrétaire général,
De toute évidence, je considère la lettre du ministre d’Etat comme aveu de la machination politicienne, hélas, devant une tragédie qui met le Congo à la croisée des temps. Une tragédie qui devrait être vécue comme l’amorce d’un temps de reconversion spirituelle d’autocritique nationale et de renaissance républicaine.
Pour ma part, sans préjudice pour la raison d’Etat, j’assume une démarche citoyenne; une démarche qui fait signe vers la mise en cause des égocentrismes et autres sectarismes, certes inavoués, mais pourtant bien perceptibles et agissantes.
Or, notre responsabilité collective n’est-elle pas d’offrir à la postérité une espérance débarrassée des anachronismes qui pulvérisent l’intérêt général et aliènent la noblesse du jeu politique? Et cela, dans un espace public où la tolérance positive est une promesse à tenir absolument où le sens de l’Etat est une quête inachevée.
Je n’ai jamais été en politique, dans la vie en général, ni pour la ruse de la raison, ni pour la raison de la ruse. Jamais. Ma condamnation par injustice se révélera histoire d’une ruse; mon acquittement ne sera pas une ruse de l’histoire, loin s’en faudrait.
L’histoire retiendra mon innocence. Bien cordialement!».