L’ARROGANCE DANS LA VIE POLITIQUE CONGOLAISE DEPUIS 1960 : vivant de sexe, d’amour, d’amitié, de bonne soupe et de bons bouquins, et ne croyant même pas en un Dieu ayant une influence sur le monde, il m’est difficile d’être derrière un homme politique, derrière une ethnie ou un quelconque groupe social. Donc, ne venez pas me chercher des poux sur la tête en prenant mes écrits comme une critique dirigée contre tels hommes politiques ou tels groupes ethniques. Les hommes politiques, les groupes ethniques sont pour moi de simples objets d’étude. J’observe, j’analyse et décompose leurs pets. Malheureusement, c’est puant, oui c’est très puant… Mettez un masque avant de lire ceci :
- QU’EST-CE QUE L’ARROGANCE ?
- Selon Wikipédia, l’arrogance est une forme de « représentation qu’une personne [ou un groupe] se fait d’elle même au sujet de sa place dans le corps social en tant que supérieure en rang à une autre personne, mécaniquement perçue comme de rang inférieur». Il va s’agir ici de l’arrogance dans le champ politique congolais.
- QUAND L’ARROGANCE DEVIENT-ELLE UN ATTRIBUT DE L’ÉLITE POLITIQUE CONGOLAISE ?
- Elle est apparue dans la sphère publique lorsqu’un groupe d’« évolués» longtemps brimés par l’administration coloniale devint des hommes d’État à la suite des modifications politiques introduites par la Ve République française (1958).
- QUELS EN SONT LES DIFFERENTS ACTEURS POLITIQUES :
- Les premiers arrogants sont d’abord des enseignants de formation, occupant des postes ministériels dans les différends gouvernements de Fulbert Youlou (Isaac Ibouanga, Marcel Ibalico, Dominique Nzalakanda, etc.). Cette arrogance devint après la Révolution des Trois Glorieuses (1963) le fait de l’élite formée dans les universités françaises (Pascal Lissouba et le groupe des « techniciens»). Puis, cette arrogance se remarqua chez des hommes politiques du régime de D. Sassou Nguesso I (Justin Lékoundzou, Aimé Emmanuel Yoka, etc.), avant d’apparaître chez l’élite politique kongo.
- TYPOLOGIE DE L’ARROGANCE :
- dans mon dictionnaire général du Congo-Brazzaville (L’Harmattan, 2019), j’en ai distingué 3 types.
4.1. ARROGANCE FONDÉE SUR LES PRIVILEGES DE POUVOIR
: Elle s’est révélée avec force sous le régime de Fulbert Youlou et de Sassou Nguesso. Ce type d’arrogance résultait d’une longue présence de cette élite au sein des institutions de l’État congolais (Assemblée, gouvernement, etc.). Les représentants de cette pratique affichèrent leur attitude hautaine à un moment où le régime politique qu’ils représentaient était en proie aux critiques de la rue. Interpellé un jour par les populations de Bacongo qui ne recevaient pas d’avantages escomptés de la part de l’un des leurs, Dominique Nzalakanda, grandi pourtant à Bacongo et l’un des fondateurs des Diables Noirs, leur aurait répondu : « Vous n’êtes tous venus sur cette terre que pour nous accompagner. Nous sommes les seuls dignes de profiter des bienfaits du pouvoir » (Les Trois glorieuses ou la chute de l’abbé Fulbert Youlou, p. 106, cf. aussi émergence du faste politique, p. 67-71 ). De même, les Brazzavillois attribuèrent à l’impopulaire ministre de l’Éducation de l’abbé Fulbert Youlou, Prosper Gandzion, ces mots par lesquels il tenta de stopper net ses pourfendeurs : « Je suis vilain, je suis balafré, mais mon argent me rend beau » (Bazenguissa-Ganga, Les voies du politique…, p. 68). Peu avant la Révolution des « Trois Glorieuses » (1963), des propos semblables furent attribués à Marcel Ibalico et Isaac Ibouanga. Par exemple, ce dernier compensa son immaturité politique par l’habillement de luxe. Par ailleurs, dans les dernières années de l’agonie du régime socialiste de Sassou Nguesso, Aimé Emmanuel Yoka, alors ministre des Mines et de l’Énergie, se moquait de ses contradicteurs à la télévision congolaise en affirmant qu’il était un « bourgeois » du fait qu’il « mangeait à table ».
4.2. ARROGANCE FONDÉE SUR LA POSITION ETHNIQUE
: Ce sont des hommes politiques kongo qu’on reconnaît dans ce comportement hautain et présomptueux. En effet, la conscience en la supériorité ethnique kongo a donné naissance bien avant 1945 à des revendications politiques qui ont rendu André Matsoua célèbre, bien que l’incursion de l’élite kongo dans la politique ne date véritablement qu’à partir de 1956, à la création de l’UDDIA de Fulbert Youlou. Or dès 1955, cette attitude avait été remarquée par Georges Balandier qui écrivait dans son ouvrage Sociologie actuelle de l’Afrique noire : « Les Ba-kongo adoptent vis-à-vis des étrangers une attitude de supériorité qui efface en certaines circonstances leurs propres particularismes. L’importance qu’ils attachent à la notion de ‘‘pureté de la race’’, le souci de tenir un rôle de leader, à l’égard des ethnies jugées plus attardées en sont les aspects les plus évidents. » (p. 337). S’appuyant aussi sur leur grande histoire précoloniale (→ royaume de Kongo) et leur position majoritaire à Brazzaville, l’élite kongo a dès 1958 revendiqué le pouvoir politique et l’a exercé. Mais, les hommes politiques kongo furent très loin d’imaginer que l’activisme d’un petit groupe des Mbochi allait chasser le président kongo, Massamba-Débat, du pouvoir en 1968. En dépit du long règne des dirigeants du Nord, l’élite et plus encore les populations de Bacongo considèrent toujours l’exercice du pouvoir comme relevant de leur domaine (« Tsi mfumu tsya béto »). Elles ont même observé dans cet élan idéaliste la montée politique des Béembé tout en les considérant comme des « vauriens » (« Babéembé, bantu ba mpamba mpamba »). De même, elles sont très hautaines à l’égard des Congolais du Nord, notamment les Mbochi, et les considèrent comme des arriérés, des gens « qui chient dans l’eau »… Cette attitude avait été stigmatisée par A. Massamba-Débat à la suite des manifestations pro-youlistes du 7 février 1964 (7 morts et 30 blessés graves). Ce qui contribua à son impopularité au sein du sous-groupe Lari.
4.3. ARROGANCE FONDÉE SUR LA POSITION INTELLECTUELLE
Ce comportement fut incarné par Pascal Lissouba et fut à l’origine des conflits idéologiques entre les « techniciens » (Lissouba, Van Den Rysen), autrement dit « ceux qui avaient fini leurs études » et les « politiciens » (Ndalla, Noumazalaye), en d’autres termes le groupe de ceux qui avaient « abandonné » leurs études « pour se lancer dans la politique ». C’est pour cette raison que Pascal Lissouba, peut-on lire dans son ouvrage Les Fruits de la passion partagée, justifiait le refus de nommer Noumazalaye, en dépit de son influence politique au MNR, dans la catégorie A1 de l’administration publique. Même devenu président de la République, « le professeur des professeurs » ne s’était pas départi de son arrogance. Celle-ci apparaissait à la fois comme une attitude politique défensive et comme une idiosyncrasie, cette « maladie de valeur » (André Gide). Dans Les fruits de la passion partagée, ses principaux concurrents aux élections avortées de juillet 1997 sont tour à tour dévalorisés : Sassou Nguesso, son prédécesseur, devient le « petit Gorbatchev congolais », Benjamin Bounkoulou, un des financiers de sa campagne électorale de 1992 et son ancien ministre des Affaires étrangères, devient celui « qui [lui] doit l’essentiel de sa carrière politique », Paul Kaya « se trouve à peu près dans le même cas de figure », Thystère-Tchicaya, celui « en faveur duquel [il] étai [t] intervenu ». Le général J.-M. M. Mokoko est comparé à « un politicien français de la Troisième République dont les polémistes affirmaient qu’il ‘‘se rendait toujours sur le Rubicon, non pour le franchir, mais pour y pêcher à la ligne’’ ». Illustrait aussi cette attitude le discours d’A. Massamba-Débat prononcé le 22 juillet 1968, dans lequel il se présentait comme le seul homme politique capable de diriger le pays et invitait ironiquement un « frère particulièrement doué, un artisan plus intelligent, plus dynamique… » à le remplacer (Bazenguissa-Ganga, p. 134).
- EFFETS DE L’ARROGANCE SUR LES AUTRES GROUPES :
- Loin d’avoir laissé indifférents les groupes sociaux auxquels ces attitudes étaient destinées, les arrogants du groupe intellectuel (Lissouba, Galiba, etc.) ont été évincés par les « politiciens » en 1966, ceux de la position ethnique (surtout les militaires kongo) ont suscité les réactions des autres groupes (Mbochi, Béembé) dans la course au pouvoir, tandis que ceux issus de la nomenklatura (Ibouanga, Ibalico, Gandzion, Lékoundzou, Aimé Yoka, etc.) ont été chassés du pouvoir à la suite de la Révolution des « Trois Glorieuses » pour les uns, et de la Conférence nationale pour les autres.
- QUE DIRE DE PLUS ?
- Outre l’arrogance, l’élite politique a d’autres tares : des fortes tendances à la versatilité et au changement d’opinions , à l’étalement ostentatoire de ses richesses, etc.
- Philippe Moukoko