Arthur Yvon Mougani : Leçon inaugurale journées littéraires général Benoit Moundélé-Ngollo

 Arthur Yvon MOUGANI : Secrétaire Général du Cercle des Ecrivains et Artistes des Afriques. Siège social : France

Adieu mes lecteurs, le Mwana Ntsouka de mes livres

 « Adieu mes lecteurs : le mwana ntsouka de mes livres »

Mesdames, Messieurs,

Dans le cadre des activités du Cercle des Ecrivains et Artistes des Afriques, CE2A en sigle, dont j’assure le Secrétariat Général, nous accompagnons le Général Benoit Moundélé-Ngollo dans l’organisation des cérémonies de dédicace de ses livres en région parisienne depuis 2013, notamment à la parution de son dixième ouvrage intitulé « Fantasmons ensemble un instant dans un Snoprac ».

Depuis lors les membres du CE2A constituent l’ossature parisienne pour la promotion du SNOPRAC. A la lumière de nos discussions, pour une compréhension de ce style atypique, ainsi qu’à la fidélité de notre engagement, chacun de nous au sein du CE2A a tour à tour été récompensé de l’estime permanente de l’auteur ainsi que de l’honneur d’animer une cérémonie, de préfacer une œuvre ou la présenter.

Après Isaac Djoumali-Sengha qui a eu l’insigne honneur, quelques années auparavant, de préfacer « Blague à part toute vérité est bonne à dire », l’honneur m’échoit aujourd’hui de vous présenter le livre intitulé « Adieu mes lecteurs : le mwana ntsouka de mes livres ».

Publié au mois d’Août 2019 par Les Impliqués éditeurs.

Ce livre de 187 pages est composé de textes que l’on pourrait aussi qualifier de chapitres à la fois tragique, pathétique, élégiaque autobiographique, introspectif et apocalyptique, de textes engagés et moralisateurs.

Mesdames, Messieurs,

Certes « Adieu mes lecteurs » signifie clairement que nous ne lirons plus Benoît Moundélé-Ngollo sous un nouveau titre, et que ce livre est le dernier comme le précise l’épithète du sous-titre, « mwana ntsouka », emprunté à nos langues vernaculaires (ce qui veut dire le dernier enfant). Mais la lecture du titre suscite une interrogation sur son effectivité : Benoît Moundélé-Ngollo arrête-t-il réellement d’écrire ?

Point de doute que chacun d’entre nous ici présent, se l’est posé, avant de plonger dans la lecture de ce livre. Et ce n’est pas un secret, que cet anticonformisme, cette liberté qu’il se donne à bousculer les normes et qui font de lui un auteur « « imprévisible » et « insaisissable » rassure moins sur cette décision que l’indique son titre.

Avant d’aborder les déclinaisons de l’auteur sur les aspects autobiographiques, stylistiques et autres, voyons, quels sont les éléments qui démontreraient que réellement Benoit Moundélé-Ngollo arrête d’écrire.

D’abord, à l’énoncé de la quatrième de couverture, l’auteur s’emploie à expliciter les raisons de son engagement en écriture et la cause de son retrait.

Ensuite en première de couverture, il pose en faisant un signe d’adieu. C’est une association de l’image à la parole transcrite en écrit pour lui donner une valeur performative c.-à-d. traduite en acte.

Et plus loin l’auteur réserve la primeur de sa décision à ses amis « snopraciens ». Dans la « Lettre à mes amis snopraciens » (strophe 21 page 48), puisqu’il écrit :

« Cette lettre est également dédiée à vous

Pour vous dire Adieu

Car

Je divorce d’avec la muse ce jour

Pour ne plus produire des livres

Après avoir copulé avec elle

Puisque

Je me marie avec la méditation dès ce jour,

Pour m’entretenir avec elle

Sans copuler pour enfanter des livres en série

Voire en rafale

Comme je le faisais avec la muse

Quand nous étions dans notre idylle.

Adieu donc ! Adieu ! Adieu !

Trois fois Adieu »

Pour donner le tempo, il termine par une anaphore:

Il y’a un temps pour écrire, Il y’a un temps pour cesser d’écrire…

Au fil des textes, l’auteur insiste délibérément pour se bien faire comprendre et dissiper les doutes, en reprenant la même anaphore en début du 5ème chapitre intitulé « A propos de la forme littéraire que j’utilise pour écrire mes livres » (page 63, strophe 1).L’auteur appuie ses dires par un serment de fidélité à la méditation, en page 74 strophe 12 du 7èmechapitre intitulé « A propos du fond de ce que j’ai écrit », en disant ceci, je cite :

« Pour l’heure

J’ai décidé aujourd’hui de rompre d’avec la muse

Quand bien même celle-ci continuera à me courtiser

Car

Je me marie,

A compter de ce jour

Avec la Méditation

Pour toujours

Jusqu’à ce que mort s’en suive… »

Ce serment de fidélité qu’il voue à la méditation traduit donc le caractère ferme et irréversible de sa décision de rompre d’avec la Muse.

Cela dit, Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi, à présent, de vous livrer sous forme schématique un aperçu d’ensemble de la structure de l’ouvrage et une analyse succincte de chacune de ses parties.

Outre la préface, le livre se structure en dix chapitres, dont deux à savoir, « A propos du fond de ce que j’ai écrit » et « Entretien avec moi-même » qui pour près des deux tiers du volume constituent la charpente à partir de laquelle se ramifient les huit autres.

D’entrée de jeu, l’auteur ouvre son livre par les textes qu’il qualifie de ses « Pensées du jour », renouant ainsi avec une tradition abandonnée depuis « Incroyable mais vrai : à prendre ou à laisser ». Souvenons-nous que les Pensées du jour ouvraient quasiment ses œuvres auparavant.

Dans ce premier chapitre intitulé LES DERNIERES DE MES PENSEES DU JOUR, il utilise l’épithète « dernières » pour traduire avec insistance sa volonté de nous fixer davantage dans les Adieux, de marteler la ténacité de sa décision d’arrêter d’écrire.

Ce retour aux « Pensées du jour » célèbre également sa flamme pour la méditation :

–           10 fois qu’il répète le mot Médite,

–           3 fois, 9 fois et 27 fois qu’il nous y recommande.

L’apostrophe, ô Homme ! semble définir un Benoît Moundélé-Ngollo devenu esprit et s’adressant aux humains :

Ô Homme !

Aussi longtemps que tu pourras et vivras sur Terre

Médite sur la puissance et sur le pouvoir divins

Ces « dernières de ses Pensées du jour » mettent en exergue une exhortation à la méditation sur la puissance et le pouvoir de Dieu, assortie d’une mise en garde qui consiste à ne pas chercher à devenir des hommes puissants.

L’écrivain cherche ainsi à canaliser l’Homme dans la quête et la persistance dans le bien, car comme le dit Montesquieu dans L’esprit des lois : « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser » et donc à faire du mal.

Benoît Moundélé-Ngollo rappelle ici son aversion vis-à-vis du mal sous toutes ses formes, comme dans l’avant-propos de son livre intitulé « Blague à part toute vérité est bonne à dire », lorsqu’il écrivait : « je m’attaque au mal plus qu’à ceux qui font le mal ».

Par la poursuite et la persistance dans le bien, il se rapproche de Lao Tseu qui disait que « la meilleure façon de combattre le mal est le progrès résolu vers le bien ». C’est le sens même de sa conversion à l’écriture pour produire des œuvres de l’esprit destinées à faire prendre conscience du mal, à transformer positivement l’Homme afin de vaincre le mal.

Les chapitres 2, 3 et 4, intitulés respectivement, DEDICACE, HOMMAGE AU PROFESSEUR LUKUSA MENDA et REFLEXION PHILOSOPHIQUE SUR LA MORT EN MEMOIRE DE SA DEFUNTE EPOUSE, constituent la partie tragique de ce livre.

Dans la Dédicace, l’auteur exprime d’abord sa reconnaissance envers toutes les personnes qui l’ont assisté, accompagné durant son aventure littéraire, parmi lesquels, le Professeur Lukusa Menda,un ardent défenseur du Snoprac, aujourd’hui disparu. La Dédicace charrie l’émotion liée à la disparition de ce dernier sur les deux chapitres suivants consacrés aux Hommages à cet illustre personnage et à la défunte épouse de l’auteur.

« L’Hommage au Professeur Lukusa Menda » et « Réflexion philosophique sur la mort » déterminent le contexte particulièrement douloureux de l’écriture de cette œuvre.

Cette partie inaugurale met en évidence sa douleur liée à la disparition des personnes qui lui sont très chères. La « Réflexion philosophique sur la mort » illustre également l’état interrogatif de l’auteur sur la mort, à un moment où il parachève la construction de son caveau.

À 76 ans et au crépuscule de sa vie, l’auteur est taraudé par la question de la mort, tout en affichant pleinement sa sérénité devant celle-ci, le trépas étant une certitude absolue pour tout être humain. Il patiente sagement jusqu’à ce qu’elle arrive, comme il écrit en :

Pages 37 strophe 13 :

« En attendant que toi la mort

Tu viennes me prendre

– Moi aussi –

Je vis en transit sur cette Planète Terre

En préparant ma rencontre inévitable avec toi »

Ou encore

Pages 115 strophe 10 :

« Si je ne peux pas bénéficier de cette grâce divine

– Ça ne fait rien –

Prenant mon mal en patience, j’attendrais ma mort »

Par ailleurs, pour l’auteur la mort est une « grâce divine », car elle apporte le soulagement, épargne l’Homme de subir d’autres épreuves de la vie ; la mort dépouille l’Homme de toutes les richesses accumulées et rétablit l’égalité entre tous les êtres vivants. En somme ces deux chapitres rappellent à l’Homme sa condition de passager sur Terre ainsi que le caractère absurde de la vie.

Le cinquième texte intitulé LETTRE A MES AMIS SNOPRACIENS forme avec « LES DERNIERES DE MES PENSEES DU JOUR », le groupe de textes introspectifs. Dans ce texte Benoit Moundélé-Ngollo adjure ses amis « snopraciens » à ne pas chercher le tort sur l’autre mais à méditer sur eux-même, à tuer l’égo qui sommeille en eux, à rechercher les voies de la perfection sans s’égarer dans la fatuité. Le « snopracien » doit s’évertuer à faire la fierté des anciens et permettre aux futures générations d’hériter une œuvre bien accomplie.

Avec un intitulé évocateur le sixième texte intitulé UN COUP D’ŒIL EN BIAIS SUR MES ORIGINES, est en partie autobiographique et se focalise sur ses racines. L’auteur décline ses origines, en remontant son arbre généalogique et retraçant l’héritage de ses attributs de Mouandzol’ô Pama ainsi que ceux de chef du clan Ikofwa.

Sans exhumer la « querelle du style », l’auteur reprend néanmoins la question de la forme du Snoprac, dans le septième texte intitulé            A PROPOS DE LA FORME LITTERAIRE QUE J’UTILISE POUR ECRIRE MES LIVRES pour justifier son choix. S’inspirant des psalmiques, son choix traduit une certaine volonté d’innover, de sortir des sentiers battus mais aussi d’aérer les pages et rendre la lecture plus aisée.

Dans le même élan que Guy de Maupassant qui prônait de la diversité dans les règles, ainsi que la liberté pour l’écrivain de composer suivant sa conception personnelle de l’art. Arguant que le critique intelligent devrait, au contraire, rechercher tout ce qui ressemble le moins aux choses déjà faites, et pousser autant que possible les gens à tenter de voies nouvelles.

Benoit Moundélé-Ngollo revendique une Autre Manière D’écrire en abrégé AUMAD’EC, qu’il aurait bien voulu substituer au SNOPRAC.

Quant à l’usage des néologismes ils participent simplement à l’enrichissement de la langue française.

Le huitième texte intitulé A PROPOS DU FOND DE CE QUE J’AI ECRIT constitue le cœur du livre. Ce chapitre regroupe dix textes, qui selon l’auteur, résument son œuvre. Ces textes sont les suivants :

  1. Mon ami le fleuve
  2. Méditation sur l’enclume
  3. Nous nous foutrons tous dehors
  4. Nous nous expliquerons tous devant Dieu
  5. Ils iront pisser, déféquer et cracher sur nos tombes
  6. Chagrin-gémissement, lamentation-complainte
  7. Où es-tu maman ? je suis là mon enfant : la complainte d’un orphelin
  8. Les causes des tragédies politiques au Congo
  9. Plus jamais ça, la complainte d’un citoyen sinistré
  10. Le Snoprac en question

Les textes 1 et 2, intitulés respectivement Mon ami le fleuve et Méditation sur l’enclume font resurgir le penchant moraliste de l’auteur et qui s’accorde parfaitement avec sa fonction de Chef coutumier. Soucieux d’éclairer ces concitoyens, il leur recommande de cultiver les vertus à travers ces deux prosopopées du fleuve et de l’enclume.

Dans la première, il joue sur la polysémie du mot lit (strophe 3 et 4), le lit comme surface permanent du fleuve de laquelle il ne sort presque jamais et le lit comme lieu de repos momentané de l’Homme.

Le fleuve qui ne sort presque jamais de son lit n’est pas paresseux mais l’homme qui reste le plus souvent et longtemps au lit est considéré comme un paresseux.

Le fleuve ne rechigne pas à porter les fardeaux des petits, il s’abonde plutôt des apports de ses affluents. Lorsqu’un obstacle se dresse sur son chemin il rugit quelque fois et sort de son lit, mais dans le silence il se trouve toujours un moyen de se frayer un chemin, soit par le contournement ou par infiltration même par le plus petit des espaces pour continuer son parcours. Par ce comportement, il nous exhorte donc à ne jamais s’arrêter face un obstacle, malgré les humiliations, les persécutions.

Dans la seconde, Méditation sur l’enclume, il met en évidence une vertu essentielle qui est l’abnégation. En effet, l’enclume reçoit des coups et il se déforme, pour donner forme aux autres outils.

Le bloc de textes apocalyptiques 3, 4 et 5, à savoir Nous nous foutrons tous dehors, Nous nous expliquerons tous devant Dieu, Ils iront pisser, déféquer et cracher sur nos tombes rappelle les cauchemars qui troublent les nuits des « faiseurs de mal » comme pour leur signifier que tout mal fini par se payer devant Dieu et devant les hommes qui, de leur vivant les lapideront et les foutront tous dehors et qui iront profaner leurs tombes quand ils seront morts. Ces textes invitent les « faiseurs de mal » au ressaisissement, au sursaut.

Le sixième texte intitulé « Chagrin-gémissement, lamentation-complainte », est une élégie qui traduit la pitié, la peine, la désolation de voir un frère ou une sœur s’enfoncer inexorablement dans le mal et l’obscurantisme. Il reflète aussi l’impuissance, l’incapacité du narrateur de freiner l’inclinaison au mal de ces Frère et Sœur.

La particularité de ce texte repose sur le procédé utilisé par l’auteur pour décrire cette frénésie du mal. La rythmique, le choix des figures de style dénotent à mon humble avis d’une technicité et d’une beauté sans pareil dans l’ensemble de l’œuvre de Benoit Moundélé-Ngollo.     

D’abord, il utilise une anaphore couplée d’une épanadiplose, c’est-à-dire il commence et termine la strophe par la même phrase, en l’occurrence le double vers que voici:

« Je te plains mon frère bien aimé,

Je te plains ma sœur bien aimée »

Cette frénésie du mal se révèle aussi par l’utilisation d’une autre figure de style qui est la gradation en montrant tous ses effets d’amplification. S’adressant à la fois aux « faiseurs mal » et à « ceux qui les accompagnent et les soutiennent dans leurs actes », l’auteur nous révèle les signes avant-coureurs et les manifestations du mal :

A-Primo, pour ceux qui font le mal, le mal monte par capillarité, ce qu’il démontre ici par l’usage d’une gradation ascendante, une progression vers le sommet.

Ce message s’adresse vraisemblablement aux potentats qui sombrent dans la folie du pouvoir.

Le mal chez eux se manifeste crescendo, avant tout :

1- Par l’entêtement (strophe 1) je cite :

« Te considérant comme une divinité…

Ne prenant plus en compte

Ni en considération

Ce que tes frères et sœurs te conseillent de faire

Tu n’en fais plus qu’à ta tête »

2- La domination, l’asservissement (strophe 2, page 102) résumé ainsi;

« Ayant réussi à vassaliser tout le monde

Tout autour de toi

Tu as fait des hommes et des femmes

Des loques intellectuelles »

3- Le culte de la personnalité et de la pensée unique (strophe 3) symbolisé par ces mots :

« Débaptiser les rues et avenues

Qui portent les noms des dignes fils de l’Afrique

Pour faire écrire en lieu et place

Tes noms et sobriquets »

4- le suprématisme et la tyrannie qui se manifestent par le crime de masse, mal absolu illustré par cette phrase (strophe 4, page 105) ;

« Tu as décrété être une personne inattaquable

Dans tout ce que tu fais

Et qui te passe par la tête

Le pouvoir absolu que tu t’es octroyé

–           Malicieusement –

En polluant le pays de cadavres de personnes »

B-Secundo, pour ceux qui accompagnent les sinistres, les « faiseurs de mal », c’est un autre message qui s’adresse aux intellectuels faussaires qui les soutiennent.

Leur soutien au mal se traduit par une forme de dégénérescence intellectuelle qui débouche sur l’aveuglement ici illustré par une descente graduelle.

Leur intelligence décline. Cette déclinaison intellectuelle commence:

1- Par le manque de discernement (strophe 5) qui dit ce qui suit :

« Perdant ta capacité de raisonner correctement

Ta lucidité et ton discernement »

2- L’inconscience et le manque de sursaut (strophe 6) qui dit :

« N’ayant plus conscience de l’état désastreux

Dans lequel tu te trouves

Ne faisant rien pour en sortir »

3- l’aveuglement (strophe 8) je cite :

« …ton aveuglement

–          Qui s’apparente à la folie – » fin de citation.

Et enfin, l’auteur manifeste son ahurissement devant cette déchéance intellectuelle.

Dans la strophe 7où il écrit :

« C’est hors de l’entendement

C’est hors de la compréhension »

Et

Dans la strophe 9 où on lit ce qui suit:

« Ce que je vois et vis

C’est un cauchemar, une hallucination

Qui joue un mauvais tour à mon cerveau »

Ces quelques vers rappellent « Incroyable mais vrai » un autre des grands titres de Benoit Moundélé-Ngollo d’où est d’ailleurs tiré ce texte. Cette déchéance renvoie à un exploit, à un fait, à quelques choses hors du commun, qui outrepasse les limites de l’Homme dans ses capacités physiques, créatives ainsi que dans ses agissements. Il dénote d’un exploit négatif qui suscite un ahurissement, une indignation.

En somme, l’auteur montre à la fois une montée en degré de mal pour ceux qui font le mal (les potentats) et une chute en degré d’intelligence et d’éthique pour ceux qui soutiennent le mal (les intellectuels faussaires), le tout avec une grande indignation.

Sur la déchéance des intellectuels, il use d’ailleurs de l’hypotypose pour montrer une réalité frappante, page 71 strophe 4, en parlant de ces accompagnateurs des « faiseurs de mal » à l’image des Médecins qui prêtent un serment d’hypocrite. L’auteur remplace ici la voyelle a dans Hippocrate par le i qui change la sonorité et le sens du mot faisant du médecin un charlatan. C’est une façon de dénoncer l’hypocrisie de ces intellectuels.

Ou encore ce passage de la lumière à l’obscurité par l’usage du terme « avocat du diable », le diable roi des ténèbres, ténèbres synonyme de noir, le noir qui habille ces avocats, remarquables par leur toge noire aux manches amples qui se terminent par une bande blanche comme pour traduire l’amplitude ou l’envergure que ces intellectuels faussaires se donnent :

– à blanchir à n’importe quel prix les « faiseurs de mal » ;

– à défendre à tout prix l’indéfendable.

La morale c’est que l’intelligence doit servir la bonne cause, éclairer la conscience des citoyens et non être un corollaire du mal.

Ne visant personne en particulier, et ne voulant non plus être circonscrit à une localisation précise, l’auteur utilise une locution conjonctive, « Où que tu te trouves », qui rend indéfinie et indéfinissable la localisation de ceux envers qui il s’adresse. Il veut par-là réaffirmer l’universalité de son adresse en y adossant l’expression « dans n’importe lequel des continents de cette vieille planète-terre ».

Les mots planète et terre associés par un trait d’union forme une locution « planète-terre » qui renvoie à une allégorie. L’auteur nous plonge de nouveau dans un monde imaginaire pour échapper aux forces de pesanteur qui veulent le descendre au plus bas et l’enfermer dans l’univers congolais.

Il s’adresse ici de façon générale à tout homme, à toute femme de partout dans le monde qui se reconnait dans un tel comportement.  Il n’indexe non plus aucun de ses frères ou de ses sœurs de lien quelconque, ni consanguin, ni de lumière, ni d’armes… connu de lui ou des lecteurs à travers ces écrits.

Quant au texte n°7 intitulé, Où es-tu maman ? je suis là mon enfant : la complainte d’un orphelin, il traite de l’importance de l’affection maternelle dans le développement de l’Homme, quand bien même le lien physique est rompu le lien spirituel demeure entre l’enfant et la mère, traduction de la deuxième partie de ce texte, la réponse de la défunte mère à son fils. Dans ce texte Benoit Moundélé-Ngollo dénonce, au passage un monde embaumé par les effluves de l’argent, en usant de la périphrase : l’argent le Dieu moderne (page 112), ou l’argent l’opium du peuple (page 116). Il vilipende ces hommes qui ne vivent actuellement que pour l’argent rien que l’argent. « Mbongwana », « mbongo wana », ce dernier mot valise qui signifie à la fois « changement » et « l’argent en question ». Cet argent qui a changé le monde et les hommes en vautours, charognards, « mangeocrates », « griocrates », j’en passe et des meilleurs ….

Le volet politique du livre s’ouvre avec le texte n°8 intitulé Les causes des tragédies politiques au Congo. Ici, Benoît Moundélé-Ngollo au chevet de son pays, use d’une épizeuxe pour décrire la situation du Congo: le Congo est malade, très malade écrit-il.

L’un des moteurs de cette situation que traverse le Pays, explique-t-il, est la course au bien-être social et matériel confisqué par les hommes politiques comme bénéficiaires exclusifs, au détriment du plus grand nombre. Le vecteur utilisé étant le parti politique avec pour seule idéologie le clanisme, le tribalisme et le régionalisme. L’enrichissement illicite et rapide des politiques crée un appel d’air. Il en résulte une ruée vers le bonheur à travers la politique qui entraine la désertification des autres activités peu rémunératrices, en faisant de la politique la seule industrie du Congo.

Cette situation raisonne en échos à une boutade du Philosophe Marcel Conche qui disait que : « si on ne se trouve aucun talent, si on ne se sent aucune capacité particulière dans aucun domaine que ce soit, là il reste la politique ». La sphère politique congolaise apparait du coup comme un monde d’arrivistes, d’opportunistes voire des gangsters si nous poursuivons plus loin pour rejoindre Albert Camus qui ajoutait que « toutes les personnes rêvent de commander, comme cela n’est pas aussi facile que dans un roman, ils accourent dans le parti le plus cruel ».

L’auteur manifeste cependant l’espoir de voir émergée enfin une crème politique vertueuse, cette élite politique capable de reformer le Pays, mais jusque-là étouffée par cette « imbéciligentsia » responsable de la ruine de celui-ci. Il préconise des solutions pour remettre le pays sur le chemin du développement, et invite à cette fin la « Jeunesse à une prise de conscience ainsi qu’à la responsabilité actuelle face aux problèmes de l’avenir ».

Le neuvième texte intitulé Plus jamais ça, la complainte d’un citoyen sinistré s’inscrit dans un registre pathétique. L’auteur illustre le chaos entrainé par la Bêtise Humaine à l’origine de l’explosion de la caserne militaire de Mpila. Dans un univers infernal où la tristesse liée à la perte des êtres chers s’ajoutait à la détresse des blessés et mutilés, mais aussi à l’émotion liée à la perte des souvenirs de toute une vie et l’effacement de la mémoire collective d’un quartier entier sous les gravats, le citoyen sinistré criait sa douleur en maudissant ceux qui, sans aucun scrupule, sans aucune compassion pour les familles sinistrées, sans aucun respect pour l’âme des personnes décédées en profitaient pour piller les rares souvenirs dans les décombres, en s’enrichissant dans le dos des sinistrés par le détournement des subsides alloués par le gouvernement.

L’auteur dénonçait aussi avec aigreur, ceux qui profitaient de la distribution des dons aux sinistrés pour s’exhiber de manière arrogante et renforcer à des fins électorales leur popularité.

Honnissant ce spectacle hideux, il martèle quatre fois : « PLUS JAMAIS ÇA », « PLUS JAMAIS ÇA », « PLUS JAMAIS ÇA », « PLUS JAMAIS ÇA ».

Pour boucler ce long chapitre, Benoît Moundélé-Ngollo reprend le texte de Julien Makaya intitulé, le Snoprac en question. Ce texte dénonce le complexe nourri par certains intellectuels formatés au classicisme inerte vis-à-vis du génie occidental et qui tournent le dos à l’Afrique. L’auteur du texte cité ci-dessus loue l’autochtonie de cette innovation qu’est le Snoprac et enjoint ces intellectuels complexés à faire de même en valorisant le génie africain et rendre un éclat retentissant et échos rayonnant à notre propre univers et notre culture.

Benoît Moundélé-Ngollo clôture son livre par un vitriol, le neuvième chapitre intitulé ENTRETIEN AVEC MOI-MEME, un texte aux relents introspectifs, politiques et autobiographiques. Ici l’auteur s’auto-interroge à travers une série de 18 questions et réponses, il passe en revue quelques épisodes de sa vie, il retrace quelques faits frustrants mais aussi héroïques de sa vie.

Dans cet exercice introspectif, il revient sur des questions majeures portant sur sa participation aux différents évènements qui ont marqué l’histoire politique moderne de notre pays, entre autres :

  • Le mouvement insurrectionnel du 31 juillet 1968 ;
  • Le push manqué du 22 février 1972, ses relais, ses conséquences ;
  • Le mouvement du 5 février 1979 ;
  • La guerre du 5 juin 1997 ;
  • La Conférence Nationale Souveraine.

A propos de cette dernière, après avoir répondu sur son aboutissement inachevé, il rebondit sur la question de l’Honneur et qui revêt une importance primordiale à ses yeux.

Pour Benoit Moundélé-Ngollo la Conférence Nationale Souveraine avait laissé un goût d’inachevée dans ses visées, dans les objectifs qu’elle s’était fixée et les retombées qu’on attendait d’elle. Inachevée aussi parce que l’occasion ne lui avait pas été offerte de laver son honneur, en le prohibant d’aller rouvrir la tombe de ses parents afin de confondre ceux qui l’accusaient d’y avoir caché de l’argent.

Ce chapitre est celui où l’écrivain exprime sa colère envers ceux qui se détournent de l’objet principal des grandes assises pour installer la chienlit. Ceux qui par calcul personnel et pernicieux, autant par envie, par haine et/ou par jalousie en profite pour y régler des comptes personnels.

Au-delà du fait que cette grande messe était une charnière vers la Démocratie, n’oublions pas qu’elle avait servie de vecteur de mensonges et d’affabulations, exacerbées surtout par la passion et la haine de cette époque envers les anciens dirigeants, souillant au passage leur honneur.

Point n’est besoin de rappeler quelques spéculations nauséabondes telles que :

–           La disparition du Dr Bakouma Séraphin ;

–           Les tombes cache-argent ;

–           Ou encore les bains ou libations de sang humains.

L’écrivain exprime ici sa grande colère du soir où, durant les travaux de cette Conférence Nationale Souveraine, il avait été ignoblement accusé d’avoir caché de l’argent dans la tombe de ses parents. Il utilise une rhétorique qui interpelle chacun à mesurer le choc que pourrait ressentir tout Homme lorsque son honneur est injustement trainé dans la boue. Puisqu’il ne faut pas juger le passé avec les lunettes du présent, replacés dans le contexte, on s’apercevra que celui qui s’exprime ici n’est pas le « Mouandzol’ô Pama », mais c’est le Colonel Benoît Moundélé-Ngollo au soir de ces propos scandaleux en 1991.

Sur le plan politique on peut retenir que 28 ans après, nous pouvons reparler de notre histoire, de la Conférence Nationale Souveraine en l’occurrence, sans passion. Oui, de par l’importance et le sérieux de ces assises, on peut regretter cette imposture des politiciens qui, quelques années plus tard, sont tombés ou retombés dans les mêmes travers qu’ils dénonçaient, en bafouant ainsi les principes d’une Démocratie qu’on avait communément adoptée.

Cette treizième question qui fait partie des 18 interrogations du dernier texte du livre, fait plutôt ressortir l’actualité des sujets traités par l’écrivain Benoît Moundélé-Ngollo à l’heure où notre pays s’est doté des institutions dédiées au Dialogue, où plus que jamais nous avons besoin du Dialogue pour apaiser le pays.

L’auteur nous rappelle que nous devons changer notre logiciel politique pour éviter de reproduire les mêmes erreurs. Comme l’écrivait J.P. Sartres, « il reste de l’espoir dans la colère la plus folle », et l’espoir ici c’est que nous pouvons enfin dialoguer de manière sérieuse et sereine sans verser dans l’anathème, les invectives, les affabulations, la diffamation, j’en passe.

Voici en somme ce que Benoît Moundélé-Ngollo laisse à notre appréciation comme dernier livre au moment de tirer un trait sur sa longue carrière d’écrivain.

Un livre qui s’entend comme le testament de celui qui a vécu, a écrit et estimant avoir été insuffisamment connu et compris des hommes, a souhaité, avant de se retirer, effacer l’anathème dont il a été frappé et les faussetés dont il a fait l’objet tant sur ses origines, sa personne, sa vie que sur son œuvre afin que les hommes gardent de lui sa vraie image et sa vraie histoire.

Je vous souhaite à vous tous une bonne lecture.

Ainsi ai-je dit.

Je vous remercie de votre attention.

Arthur Yvon MOUGANI

 

 

 

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