UN AN APRÈS SON DÉCÈS, RETOUR SUR LA FIGURE EMBLÉMATIQUE DU PRÉSIDENT PASCAL LISSOUBA COMME FACTEUR LÉGITIMANT DU NIBOLEK POLITIQUE

 

La bipolarité symbolique Nord-Sud du champ politique congolais héritée des rapports marchands coloniaux et des affrontements de 1959 entre les sympathisants de l’Abbé Fulbert YOULOU et les partisans de Jacques OPANGAULT, a été assimilée à l’affrontement symbolique entre les élites du Pool et de la Cuvette. Cette configuration du champ politique a été bousculée en 1992 par l’irruption d’un nouveau bloc d’identification politique qu’est le NIBOLEK. Celui-ci, constitué des trois régions du Niari, de la Bouenza et de la Lékoumou, dans le Sud-ouest, s’est imposé comme la base électorale du Président Pascal LISSOUBA.

La compréhension du Nibolek en tant que bloc d’identification politique soutenu par une base électorale tri-régionale n’a fait l’objet d’aucune contribution intellectuelle distinguée, et les partisans de LISSOUBA n’y sont pas reste. Les réponses apportées par la littérature politique ne sont pas satisfaisantes, elles portent la marque d’une manipulation exclusivement politicienne pour avoir réduit la formation du NIBOLEK à un supposé machiavélisme, doublé d’un penchant ethnique, de Pascal LISSOUBA, et ce, dans le contexte de forte mobilisation partisane induite par la compétition électorale de 1992. C’est donc à tort que certains partisans de SASSOU-NGUESSO et de Bernard KOLELAS avaient accusé Pascal LISSOUBA d’être le concepteur intellectuel, l’organisateur en Chef de l’identité politique tri-régionale du NIbolek. Parallèlement, c’est en méconnaissance de l’histoire que certains originaires du Niari, de la Bouenza et de la Lékoumou accusèrent à tort les partisans Laris-Kongos de Bernard KOLELAS d’avoir inventé le vocable « Nibolek ».

Ces analyses et ses postures politiciennes ne sauraient résister à la pugnacité des faits. Elles ont toutes laissé de côté toute l’implication des populations de ces trois régions, l’engagement des masses urbaines du Grand Niari et surtout la cristallisation de l’élite de cette partie du pays autour de la figure emblématique de Pascal LISSOUBA.

Naturellement, de toute évidence, une identité géopolitique aussi large pose la question d’un au-delà de l’ethnie, voire d’un au-delà de la région en tant qu’entité administrative.

Cela étant, les manifestations sociologiques de la quête d’une identité sociale du “ Grand Niari ”, encore embryonnaire, ont été observables dans l’espace urbain, particulièrement à Bacongo à partir des années 1970. Ce quartier situé au sud de Brazzaville étant le point de chute des migrants du Grand Niari, mais aussi leur espace d’intégration sociale et de différenciation politique. Cette revendication identitaire est le fait des ressortissants du Nibolek qui s’installent à Bacongo à la suite des vagues d’émigration des années 1970. Ces nouveaux migrants se différencient ainsi des autres populations Nibolek natifs de Bacongo.

Les premiers sont les porteurs de cette nouvelle revendication identitaire du Grand Niari qui n’est pas encore le Nibolek politique, les seconds se considérant avant tout comme des urbains natif de Bacongo, attributaires d’une identité urbaine dont le facteur unitaire et valorisant est la langue Lari, ils ne pouvaient revendiquer un territoire identitaire, une aberration à leurs yeux.

Cette posture relève d’autant d’une évidence élémentaire que depuis les années 1930 les populations en provenance des pays du Niari s’étaient majoritairement installées à Bacongo, donc le territoire urbain du lari. D’autant que ce quartier s’est imposé comme l’espace d’intersection de l’ensemble du Groupe Kongo-Sundi et Téké du sud. Par effet d’entonnoir, il est devenu le creuset commun, le carrefour vertical du rameau identitaire Kongo au sens large. On devient Lari en tant que natif de Bacongo au-delà des origines ethniques des habitants de ce quartier.

Ainsi, le vocable « Nibolek » que certains Congolais croient remonter à la Conférence Nationale Souveraine convoquée en 1991, date en fait de 1979.

Cette année-là est crée à Bacongo une équipe de football dénommée Association Sportive Nibolek. Ses concepteurs sont de jeunes étudiants et élèves originaires du Niari, de la Bouenza et de la Lékoumou habitant le quartier. Cette équipe évoluant dans le championnat de Mwana-Foot avait séduit et conquis les populations de Bacongo, lesquelles appréciaient particulièrement son meneur de jeu appelé Pépé. Celui-ci formait avec Raoul KOMONO, un natif de Dolisie (qui jouait aussi dans Patronage Saint-Anne), un duo d’une rare efficacité qui donnait le tournis aux défenses adverses[1].

Au-delà d’une lecture événementielle attribuant faussement l’identité politique du « Grand Niari » au Président Pascal LISSOUBA, le champ social dans lequel s’affirmait la base sociale du Nibolek à Bacongo participait déjà de la formation d’une identité politique encore embryonnaire s’articulant sur l’histoire d’un ressentiment engendré par des frustrations accumulées pendant le “ règne ” des élites du Pool et de la Cuvette.

Elle tire sa genèse de l’éviction du Premier Ministre Pascal LISSOUBA et son remplacement par Ambrosie NOUMAZALAYE.

En réintroduisant les réseaux de solidarité hérités de leurs localités du Niari, de la Bouenza et de la Lékoumou dans l’espace urbain de Bacongo, donc Brazzaville la capitale, lieu du pouvoir et de ses symboles, ces nouveaux migrants recherchaient à travers l’équipe de football AS Nibolek une légitimation dans l’aire urbaine.

En 1992, le processus de démocratisation a ainsi offert le soubassement légitimant qui faisait défaut au Nibolek en tant qu’identité sociale, mais qui n’était pas encore le Nibolek politique, par le biais de sa rencontre avec pascal LISSOUBA.

Celui-ci s’est imposé historiquement comme le réceptacle autour duquel s’était polarisé depuis 1966 la frustration des élites du « Grand-Niari » dans leur désir de conquête de pouvoir avec à leur tête Pascal LISSOUBA.

L’expression « Grand-Niari » est instructive en ce sens, de ce qu’elle porte la marque d’une coalition des masses de la Bouenza, le Niari et la Lékoumou, même si des enseignants en faisaient aussi usage pour simplifier leurs enseignements sur la vallée du Niari, considérée comme le grenier du pays.

Naturellement, le Grand-Niari était plus qu’une région, un symbole, c’était un mana qu’incarnait Pascal LISSOUBA.

Celui-ci n’est que le porteur du ressentiment des populations et des élites de cette partie du pays.

Ce ressentiment s’est manifesté en 1992 en s’adossant sur le parcours de légitimité de pascal LISSOUBA, et ce, par le biais de deux types de capital. Il s’agit, d’abord, d’un capital culturel (premier Docteur d’Etat du pays, premier intellectuel de renom sorti du terroir du Grand-Niari). Ensuite, LISSOUBA avait un capital politique pour avoir été le Premier Ministre du Président Alphonse MASSAMBA-DEBAT, donc d’un régime qui avait amorcé l’industrialisation du pays). Ce double capital avait été accru par des faits légitimants tels que son éviction en 1966, la prison, la torture, la déportation et l’humiliation en 1977.

Son parcours de légitimité politique et son charisme personnel se sont imposés comme le référent légitimant du Nibolek politique, devenu sous son règne (1992-1997) un nouveau bloc d’identification du pouvoir aux côtés du “ Nord ” et du “ Pool ” politique.

Roger MVOULA MAYAMBA
Juriste

 

.

 

 

 

Partager :