Novembre 2000, Alpha Condé, l’opposant téméraire et déterminé depuis Sékou Touré, est arrêté sans que ne soit levée son immunité parlementaire et accusé de complot contre la sûreté de l’état par Lansana conté qui a pris le pouvoir après la mort de Sékou Touré.
L’émoi est immense dans les milieux panafricains de Paris. Je décide alors de rencontrer Pierre André de Wiltzer, vice-président de l’Assemblée nationale, député de l’Essonne, qui a demandé au gouvernement français de prendre des mesures de rétorsion contre le pouvoir de Conakry.
Le Parlement de la francophonie, dont il est le président de la commission politique, a condamné cette arrestation jugée arbitraire, et même envoyé une mission officielle en Guinée dont il a fait partie. Il me reçoit dans son bureau du Palais Bourbon, décoré aux ors de la république. Son propos ne varie pas dans l’interview qu’il m’accorde : le soutien à Alpha Condé est sans ambiguïté. Malgré la mobilisation de la communauté internationale, dûe au solide réseau de ses relations politiques, rien n’y fait, Alpha Condé est condamné à 5 ans de travaux forcés : une parodie de justice. Mais il en sera élargi plus tôt du fait de la pression de la communauté internationale.
À sa sortie, il entreprend un voyage en Afrique, aux USA et en Europe, où il rencontre des personnalités politiques et autres acteurs de premier plan, pour expliquer la situation de son pays, notamment la volonté de Lansana Conté de s’accrocher au pouvoir.
À son retour, à Paris, je l’appelle et le rencontre, à son domicile, à Paris, en juillet 2002.
L’ancien dirigeant de la FEANF me clame son opiniâtreté de combattre le pouvoir dictatorial qui sévit dans son pays.
Le Panafricain qu’il est estime que ce genre de pouvoir retarde le développement du continent et doit donc disparaître.
Quant aux élections, il conditionne la participation des partis de l’opposition par la mise en place d’une commission électorale indépendante.
Mais à son arrivée au pouvoir, c’est le paradoxe, il met sous le boisseau tous les principes de démocratie qu’il brandissait comme étendard de son combat. Incapable de s’en accommoder, il savoure sa puissance dans l’arrogance et le mépris de ses compatriotes. Pour couronner sa dérive dictatoriale, le tripatouillage de la constitution pour se maintenir au pouvoir va en être l’un des points saillants. Ivre de gloire illusoire, nourri aux chants de sirènes de ses thuriféraires, il lui faut davantage prouver sa puissance comme certains de ses pairs par le rituel du troisième mandat, cette ultime figure chorégraphique de la danse des hommes-dieux, indispensables et irremplaçables, sans lesquels la vie dans leurs pays s’arrête. Aussi comme pour dire, une pour la route jusqu’à la finitude !
Le coup d’état qui l’a emporté, quoi qu’il ne soit le meilleur moyen d’impulser la démocratie, a été salué par de nombreux Guinéens et Africains d’autant qu’il y a des douleurs qui valent la peine d’être vécues. Et Alpha Condé n’en pense pas moins, lui, qui m’avait avoué que « lorsque les forces politiques d’un pays constatent qu’elles n’ont aucune chance d’arriver au pouvoir par voie démocratique, face à un pouvoir qui verrouille tout le système, il ne leur reste qu’une seule alternative : le recours aux armes « .
Une nouvelle page de l’Histoire de la Guinée s’ouvre. Est-ce à dire qu’elle est porteuse d’espoir au regard du passé récent de ce pays, caractérisé par de soubresauts politiques qui n’y ont pas apporté de significatifs changements ?
Rien n’est moins sûr. Mais au delà de la Guinée, cette interrogation vaut également pour la plupart des pays africains où souvent les nouveaux pouvoirs perpétuent les pratiques de leurs prédécesseurs qu’ils vouaient aux gémonies ou font pire. Frantz Fanon, en 1961, dans son livre « Les damnés de la terre », au lendemain des indépendances, dénonçait déjà cette attitude des nouveaux pouvoirs en Afrique qui reproduisaient les mêmes formes de violence que le pouvoir colonial : pouvoir coupé de la population, répressif, sécuritaire, tribaliste, bâillonnant la population, monopolisant la sphère politique, captant les richesses du pays, etc.
Les épisodiques velléités de changement en Afrique de l’ouest, aussi prometteuses soient-elles, ne constituent pas encore un courant prépondérant au plan continental.
L’Afrique centrale, elle, est quasiment bloquée comme le montre Jean-Marc Essono Nguema dans son livre » L’impossible alternance au pouvoir en Afrique centrale ». Il démontre comment les pouvoirs en place, dans les pays de cette zone (Congo, Gabon, Tchad, Centrafrique, Cameroun, Guinée équatoriale), ont verrouillé les mécanismes institutionnels pour empêcher toute possibilité d’alternance.
La morsure est béante. Elle a commencé au 15 è siècle avec l’esclavage, puis par le partage de l’Afrique à Berlin, en 1885, qui a entériné la colonisation.
Les virtuelles indépendances de 1960, que l’on célèbre avec faste, ont engendré non des pays indépendants mais des « postcolonies », comme le dit si bien Achille Mbembe.
Pourquoi cette incapacité des Africains à vivre dans des pays dignes de ce nom où règnent la justice et la paix ?
Pourquoi cette addiction des dirigeants de s’accaparer du pouvoir jusqu’à le transformer en bien familial ou clanique, sachant que cela engendre des dérèglements sociaux et n’ouvre pas les portes du développement ?
Pourquoi leur insensibilité aux attentes de leurs compatriotes et à la marche du monde ?
La démocratie est avant tout fille de la rationalité, qui implique la Raison et une éthique collective. Elle institutionnalise la contradiction, la pluralité, comme facteur de créativité, et ne peut être portée par un homme-tout-puissant, un dieu incarné, qui régule à sa guise la société, distribue les prébendes pour consolider ses assises.
L’état, forme moderne d’organisation sociale, ne s’accommode pas du tribalisme, du népotisme, du culte de la personnalité, de l’accaparement du bien collectif par un clan. Que faire ?
D’où vient ce blocage ?
Est-ce, comme l’a écrit Valentin Mudimbe, « l’odeur du père » qui étouffe notre respiration depuis 1885, à Berlin ? Et comment sortir des mailles de cet odeur fétide et de cet étouffement ?
Est-ce la crise en Afrique du Muntu (homme) dont parle Eboussi Boulaga, et comment réhabiliter cet homme ?
Jean Marc Ela, lui, en parlant de « crise du regard », exhorte les Africains de se réapproprier leur Histoire.
Et avant lui, Cheick Anta Diop a mis l’accent sur la réappropriation par les Africains de leur conscience historique depuis la vallée du Nil, dans l’Égypte antique, non pour la gloire, mais pour penser le présent et se projeter dans l’avenir comme les Européens l’ont fait au moyen-âge en puisant dans l’antiquité gréco-latine, d’où la Renaissance, période de grandes conquêtes à travers le monde et de grandes avancées culturelles et scientifiques.
D’innombrables réflexions exhortent à la revitalisation de l’Afrique. Que faire pour les matérialiser ?
Comment le Japon, la Chine ou l’Inde ont-ils fait ?
À chacun d’y réfléchir. L’Histoire ne finit jamais.
Gilbert GOMA