L’émergence en Afrique : un style incantatoire ou une particularité irréversible du temps ?

 

L’émergence a remplacé dans la phraséologie gouvernementale des États africains, le concept de développement, au point où sur les 54 États africains, 52 ont un plan d’émergence à l’horizon 2025 ou 2035.
De ce point de vue, il semblerait qu’il soit devenu le nouveau concept clé du projet anciennement appelé « développement économique ».
On peut donc s’interroger sur les raisons de ce changement de nomination, sur la transition entre la notion de pays en voie de développement, et de pays émergents.
Déjà autour des années 60, les pays du tiers monde étaient appelés « pays sous-développés », mais progressivement, on a substitué ce terme en « pays en voie de développement », puisque probablement le concept était connoté trop péjorativement.
Et depuis, le concept de pays en voie de développement est devenu statique, le sous-développement étant un état de fait, le transformer en un concept plus dynamique de « pays émergents », permet de donner l’illusion que les choses sont inscrites dans un processus en mouvement.
Mais lorsqu’on observe ces plans d’émergence, une fois qu’ils rentrent dans la phraséologie gouvernementale, et une fois que quelques fonds sont levés pour les financer, ces pays ne mettent pas sérieusement en œuvre les réformes structurelles préalables à ces plans.
Ceci dit, ils passent leur temps à vendre un concept au lieu d’en faire un concept opératoire, car la plupart de ces plans échouent dans leur structuration, et a fortiori lors de leur mise en œuvre.
En effet, la mise en œuvre de ces plans exige de la rigueur, du suivi, des préalables et de véritables modèles pour transformer ces économies structurellement, en tenant compte de leurs spécificités.
Après quelques années d’expérience, l’on se rend compte qu’on est plus dans un style incantatoire, dans un effet de mode pour faire croire aux imaginaires que les choses changent ou qu’elles vont changer, et l’on essaye de vendre un nouveau concept qui coûte assez cher, à l’image du plan sénégalais qui a coûté, 13 millions de dollars, en effet les cabinets internationaux qui détiennent ces plans, les vendent aux pays africains à des prix d’or.
On a donc l’impression de tourner la même roue depuis les plans de développement de 1945, et ces pays passent leur temps à faire du passé des autres leur propre avenir.
Oui, ces plans d’émergence sont identiques, parce qu’ils sortent de la matrice d’un même prescripteur, ce ne sont pas des productions endogènes, mais une croyance dans la matrice supposée être le seul secret de la réussite.
La question du développement à l’occidentale est donc réductrice, il faut repenser l’économie africaine en dehors du formalisme néoclassique, en envisageant une vision plus large qui consiste à interroger : quelles sont les projets de société et de civilisation que l’Afrique doit articuler, dans une dimension économique, culturelle, politique et symbolique.
Malheureusement, les nations africaines, bien qu’elles soient diverses, sont pour la plupart emprisonnées dans des téléologies ou des injonctions civilisationnelles, tous les chefs d’État africains estiment qu’ils doivent engager leurs pays dans le défi du développement économique ou de l’émergence.
Cette obsession est devenue leur principal « télos » : faire accéder leurs nations dans la modernisation d’une Afrique ancienne et traditionnelle, qui doit entrer de plain-pied dans dans la modernité.
In fine, l’on remarque que ces pays ont adhéré à ces concepts comme étant la finalité de leurs aventures societales, alors que d’un point de vue méthodologique, il faut d’abord opérer une critique de ces concepts, à savoir qu’est-ce que ces notions recouvrent, quelles sont leurs implicites philosophiques, comment cette modernité s’est instituée philosophiquement ailleurs, il faut donc poser ces cadres de référence et les interroger, avant de se lancer dans des projets au demeurant inadaptés.

Fredy St-Christian Dounat

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