lettre ouverte aux évêques du Congo

lettre ouverte aux évêques du Congo

Au nom du principe de la laïcité, la politique est autonome, la religion est aussi autonome. Mais il y a entrelacement des deux. Partant de ce postulat, le Collectif pour la Défense des Terres Bantu interpelle les confessions religieuses du Congo en ces termes.

L’autorité politique gouvernant le Congo a à sa tête un chef politique qui affiche à maintes occasions sa dévotion à l’Eglise catholique. La cathédrale dédiée à sa fille défunte en est une preuve indéniable. A ce titre il est considéré comme un chrétien qui dirige le pays de façon laïque. Et les valeurs spirituelles qui l’animent sont des valeurs chrétiennes. De ce fait, étant lui-même citoyen au sein de la société, il ne peut agir en toute indépendance et unilatéralisme lorsque les actes, tels ceux relatifs aux accords du 12 avril 2022 avec le Rwanda, impactent l’existence des Congolais dans leur patrimoine primordial qui est la terre. Sans la terre, il n’y a pas de terroir qui est la mater originelle qui fonde l’identité individuelle naturelle. Bien entendue que la notion de citoyen n’est que juridique et lié à l’Etat.

D’une part, ce qui est une valeur humaine, bien que formalisée en politique, doit être partagée par tous. Or il y a des valeurs en politiques qui sont fondamentalement des valeurs spirituelles. Par exemple, la valeur de la paix. Autres exemples, le souci du bien commun, la solidarité, le respect de la personne humaine, la promotion des droits de l’homme, les droits sociaux et culturels. Bref, tout ce qui est en faveur de l’homme et de son bonheur est aussi pleinement assumé par l’Eglise, autant qu’en politique.

D’autre part, l’élément qui fait qu’on ne peut laisser l’exclusivité des questions sociétales à la politique, c’est l’histoire humaine elle-même. Beaucoup d’Etats sont nés bien après les religions. L’Etat du Congo ne fait pas exception. Et les structures étatiques sont d’une manière ou d’une autre tributaires de l’œuvre sociale des Eglises.

L’Etat du Congo est né le 28 novembre 1958 d’après l’histoire. Mais déjà, les écoles existaient, les centres de santé existaient. Et quand on va dans ces structures qui ont accompagné l’être humain, qui ont formé l’être humain, on trouve les Eglises.

En effet, considérons un des Etats les plus laïques au monde, la France, à cause de l’impact des siècles de lumière en Occident. C’est la patrie d’illustres fils. Mais en France, à travers la loi Debré par exemple, l’Etat s’engage avec l’argent public à payer les salaires de tous les enseignants qui travaillent dans les écoles confessionnelles. C’est cela cette collaboration puisque sur le plan social, cet Etat laïc reconnait qu’au nom du bien commun ce que l’Eglise catholique et autres apportent en matière d’éducation est pour le bien de la communauté. On peut donc parler de prérogatives partagées sur les questions sociétales. La laïcité prône l’autonomie de ces deux entités, l’Eglise et l’Etat, certes, mais elle laisse la porte ouverte à la collaboration.

L’Eglise est mater. C’est une mère qui engendre par la foi et par le baptême. Et il est normal qu’un fils, fusse-t-il chef de l’Etat, écoute sa mère. Etant parenté à la chrétienté, même au pouvoir, il est tenu d’écouter l’Eglise. Notamment dans son enseignement codifié dans la Doctrine Sociale de l’Eglise (https://www.vatican.va). En tant que chrétien engagé dans la vie sociale et économique, monsieur Sassou-Nguesso doit connaitre au moins l’essentiel de ce document.

En conséquence, il est normal que quand les valeurs qui sont prônées par l’Eglise semblent ne pas être respectées, que l’Eglise monte au créneau. Parce que comme mère, l’Eglise doit veiller sur ses enfants.

L’Eglise est aussi magistrate, c’est à dire qu’elle enseigne. A ce titre, elle ne peut pas garder le silence. L’Eglise doit mettre la parole prophétique au cœur de la cité pour rappeler que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et que sa dignité doit être respectée absolument. Et que les valeurs de justice, de vérité et de paix ne peuvent pas être tronquées. Et que la bonne gestion, la préservation de la cohésion sociale sont des valeurs morales essentielles.

Nous prenons l’exemple de la CENCO en RDC. Invitée par tous les hommes politiques Congolais pour faciliter leur dialogue, ce qui a donné naissance aux accords de la Saint-Sylvestre, la CENCO était dans l’obligation de suivi en tant que pilote des accords. Ce rendez-vous l’a placé de pleins pieds dans la politique, d’où elle ne peut plus se taire. Sa voix a culminé avec l’exigence de la vérité des urnes !

Le peuple du Congo-Brazzaville se trouve aujourd’hui en difficulté à la suite des accords bipartites Congo-Rwanda. Faisant face à l’arsenal répressif du régime en place, son regard et recours s’oriente vers l’autorité morale qui transcende toutes les institutions humaines établies. Avec force, il demande aux évêques du Congo et à toutes les congrégations religieuses d’adresser une injonction légitime aux autorités du régime de renoncer auxdits accords qui spolient notre patrimoine foncier.

L’Eglise est en droit de prendre position quand elle estime que ce pourquoi elle est en train de prendre position est marqué du sceau du bien commun, parce que c’est l’un des principes de la Doctrine Sociale de l’Eglise.

La politique abuse trop avec nos populations et notre peuple. Il faut que cela cesse. L’Eglise a le devoir d’être une conscience dans toutes les sphères, une lumière dans les villes, les villages et dans les institutions. Dans sa mission prophétique, elle a le devoir d’interpeller. Le souci de la bonne gouvernance donne à l’Eglise le droit et le devoir de parler dans l’espace public en sa qualité d’autorité morale.

Sur la vie en société, l’Eglise a à se prononcer lorsque les terres de ses enfants sont bradées en dépit du bon sens, privant ainsi ses enfants d’espace d’activité agraire, d’espace de mémoire aux ancêtres.

Devant cette situation extrême, l’Eglise aussi est embarquée sur le même bateau. Si l’Eglise n’offre pas un discours de cohésion sociale aux institutions politiques du pays, on n’enseigne plus la culture de la paix. Et quand il y a affrontement, les mercenaires ne font aucune distinction entre l’évêque et le citoyen ordinaire.

En somme, cette requête est une mission, un rôle social qui ne peut pas être dissocié de la politique parce que la politique est la manière de vivre ensemble en société autour des valeurs de bien commun, de solidarité et de partage. L’Eglise est membre de la société civile qui doit être engagé dans la transformation, la préservation sociale.

De ce fait, nous membres du Collectif pour la Défense des Terres Bantu, demandons à l’Eglise, en tant qu’autorité morale, de s’investir à gérer cette situation politique qui crée le désordre et est source de conflit.

Fait à Paris, le 1er Mai 2022.

COLLECTIF POUR LA DEFENSE DES TERRES BANTU
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