Extrait du texte « Lettre ouverte à la Conscience Bantu »
De Né-MFUMU Madisu-Ma-Bimangu, publiée en 2015.
Historiquement, tout le mal qui gangrène l’Afrique Centrale résulte de la destruction du royaume du Kongo par la colonisation portugaise, française et belge. Cette destruction a induit une profonde crise de conscience de la civilisation Bantu. Bantu est le pluriel de Muntu qui signifie être humain. L’entreprise coloniale a déstructuré la conscience Bantu et a instrumentalisé les sociologies. Les unes pour servir cette entreprise, les autres pour en subir les affres. Dans l’ensemble, l’entreprise coloniale entraîne les peuples Bantu vers un suicide collectif. Le plus pathétique est qu’en dépit du bon sens, ces sociologies participent activement à cette conspiration néocoloniale subtile et tragique qui bloque l’ascenseur social aux Bakongo. C’est-à-dire, les natifs Kongo encore appelés Né-Kongo.
Cette conspiration est visible à travers les déclarations suivantes du missionnaire catholique de la BFMS en poste à Kinshasa au cours d’une réunion avec les services de sécurité Belges venus enquêter sur l’origine de la révolte du 4 janvier 1959 au Congo-Kinshasa.
« Unité du Congo-Belge dites-vous ? Tout ce que nous faisons pour sauvegarder cette unité ce doit être une unité au profit des blancs, pas pour les nègres. Aussi longtemps que cette unité va nous servir, nous allons la défendre. Mais dès que cette unité commencera à servir les intérêts des noirs, nous allons la détruire. Parce que le Congo-Belge a été conçu par les blancs et nous ne voulons pas que notre création devienne une grande puissance entre les mains des noirs.
Nous sommes les missionnaires au contact quotidien et permanent avec les populations. Nous les connaissons bien. De tous ces peuples, seuls méritent l’indépendance les Bakongo. Les autres ne sont pas mûrs. Mais si vous donnez l’indépendance aux Bakongo, rapidement ils vont se développer. Ils vont devenir le Japon de l’Afrique Centrale. Ils vont aider les Bangala, les Baluba et les Swahili à se civiliser ; et tout va se retourner contre nous. Alors que faire.
Mélangeons les Bakongo avec les peuples du nord. On va faire un coup d’État à l’avenir et virer Kasa-Vubu du pouvoir. On le remplacera par un Mungala. Les Bangala vont former une digue pour stagner le pays et ce pays ne va plus marcher. Ainsi les Bakongo seront bloqués, et en fin de compte nous allons piller et profiter de ce pays énormément.
On va pousser les autres peuples à haïr les Bakongo. Le fait que les Péndé et les Mbala apprennent en kikongo à Kimpécé fait croître l’influence des Bakongo. Alors on va casser la langue Kikongo de sorte que l’Est de la RDC parle le Munukutuba fabriqué par le colon. Ainsi la langue Kikongo sera divisé par deux.
On va rapprocher Kizénga (actuel allié de Kasa-Vubu) avec Lumumba qui est l’agent des services secrets Belges, vous le savez. D’ailleurs, les catholiques ont monté un parti politique le MNC mis à sa disposition. Ainsi, progressivement, nous allons réduire petit à petit mais significativement l’influence des Bakongo. Et en fin de compte, nous allons gagner.
Vous savez, ce sont les Bakongo qui ont libéré ce pays. Si vous leurs confiez la direction de ce pays, ce pays va se développer ». fin de citation.
D’évidence, ces propos condescendants reflètent le schéma, la racine du mal africain, dans lequel évolue la troïka des pays Congo-Brazzaville, la RDC et l’Angola. C’est la même logique néocoloniale qui s’est appliquée sur le régime de l’abbé Fulbert Youlou au Congo-Brazzaville. Le mal être africain postcolonial traduit le lien entre cette entreprise de destruction de la conscience Bantu, et la rationalité qui mène à la création de l’État du Kongo Central en RDC, ou de reconfigurer le Congo-Brazzaville en une fédération. Un État autonome Kongo sera une plateforme institutionnelle qui permettra de sécuriser les Bakongo et de se mouvoir dans la région en toute dignité, liberté et respectabilité. Il ne doit pas être perçu comme un repli identitaire ni comme un rejet des autres sociologies. Il doit être perçu comme une thérapie de conscientisation globale qui apporte une dimension nouvelle à la conscience Bantu, en amenant toutes les sociologies à coexister en toute confiance, à mieux apprécier les liens culturels et économiques qui relient les uns aux autres.
L’Histoire rappelle qu’il existe une cause primordiale qui a profondément endommagé la conscience Bantu et l’a rendu malade. Cette maladie s’exprime au fil du temps sous formes de trahison, de persécution, d’égoïsme, d’hégémonie anti-kongo, de massacres et d’intolérance. Cette situation sature l’espace social des États hétéroclites issus du démembrement du royaume du Kongo. Sans une reprise en mains de sa destinée, les multiples vexations qui s’exercent sur le peuple kongo l’entraineraient dans une descente aux enfers insondable. La liste des persécutions est longue et identique dans la troïka des pays englobant tout ou partie du territoire de l’ancien royaume du Kongo. Nous citons.
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L’élimination physique méthodique des leaders Kongo prive ce peuple d’élites et de leaders. Cet ostracisme crée un déséquilibre en termes de leadership. Il jette en pâture tout citoyen Kongo qui subit l’hégémonie des sociologies voisines instrumentalisées. Il affaiblit et déstructure les pays Kongo.
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Les massacres à grande échelles des populations et la dépossession des terres kongo. Ces actes, bien que connus de l’opinion internationale, participent au dépaysement des kongo sur leurs terres ancestrales.
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La présence kongo minorée dans les institutions, voire leur mise à l’écart sans ménagement dans les institutions. Les Bakongo subissent la politique des quotas dans les entreprises publiques, parapubliques et dans l’administration territoriale pendant que les autres sociologies sont favorisées et jouissent d’une affluence croissante. Dans la province du Kongo Central en RDC, les Bakongo subissent une purge administrative, à l’instar de celle du Congo-Brazzaville des années 70.
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La spoliation des terres kongo constatée dans les trois pays est un phénomène critique. En Angola, les Bakongo sont traités comme des étrangers par des populations importées du Cap-Vert et de Sao-Tomé qui occupent des pans entiers de leurs territoires, sous la bénédiction du gouvernement de Luanda dont l’ancien président, Dos Santos, était lui-même d’origine Sao-Toméenne. Au Congo-Brazzaville, l’implantation massive des réfugiés hutus-rwandais par le HCR dépayse les populations autochtones. Ces temps-ci, le régime tribaliste de Sassou-Nguesso y implante des soldats tutsi-Rwandais. En RDC, le Bas-Congo est livré à la spoliation des terres dans le but de concrétiser un projet d’emphytéose pour une colonie occidentale dotée des pouvoirs d’État balkanisé interdit aux autochtones.
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L’islamisme radical, qui menace la sécurité des peuples Bantu et l’intégrité de l’identité Bantu, ne préoccupe nullement les dirigeants de la troïka. Pourquoi ? L’explication est d’ordre culturel et spirituel. Le Bukongo est l’unique religion ayant existé en Afrique Centrale avant la pénétration coloniale. Du fait que le Bukongo renvoie à l’identité kongo persécutée, les dirigeants affichent une indifférence face à la menace islamiste qui progresse et déferle en Afrique Centrale. Seul l’Angola s’est engagé à enrayer la présence islamiste sur son sol par la destruction des mosquées. À Brazzaville, monsieur Sassou-Nguesso projetait même de construire la plus grande mosquée au monde pour noyer le Bukongo par pure phobie. Il préfère s’acclimater d’un islam radical affichant ses prétentions d’atteindre l’extrême sud du continent : l’Afrique du Sud.
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Enfin, l’interdiction dans les trois pays du mouvement « Bundu Dia Kongo » relègue à la clandestinité la pratique du Bukongo. Cette mesure révèle le génocide culturel contre l’identité kongo. Elle complète la funeste entreprise de la mise à mort de la civilisation Bantu par les régimes de la troïka.
Face à toutes ces vexations, les peuples Bantu doivent sortir de l’expectative et de l’observation passive de cette situation. La simple dénonciation du tribalisme d’État ne suffit plus pour éluder l’origine du mal. Car, les institutions internationales susceptibles d’arbitrer ces contentieux mineurs sont des instruments aux mains des puissances qui ont conçu cette même stratégie de discorde. De par leur volonté, aucune amélioration n’est possible. Bien au contraire, ces puissances attisent le feu de la division pour davantage piller et maximiser leur profit. N’oublions jamais le principe machiavélique qui fonde la raison d’être de ces puissances. « L’État n’a pas d’amis. Il n’a que des intérêts à défendre. » En l’occurrence, les intérêts de ces puissances sont le pillage à huis-clos des ressources naturelles africaines. Pillage rendu possible en entretenant des micro-conflits entre les peuples Bantu, et par l’intronisation des dirigeants illégitimes.
Fait à Brazzaville, le 10 août 2023.
Pour le Collectif de Défense des Terres Bantu,
Le Délégué.