Mémoire et Héritage d’André Grenard Matswa

Mémoire et Héritage d’André Grenard Matswa

Par, Né-MFUMU Madisu-Ma-Bimangu

Responsable du think-tank politique, Alternative Congolaise pour une Transition d’État, en abrégé ACTE.

Chers compatriotes bonjour,

Je ne cesse de le répéter. La culture Kongo, le Bukongo et la philosophie du Kimuntu, depuis des temps immémoriaux, place l’homme au cœur de ses préoccupations. C’est une dynamique historique qui a enfanté la civilisation Bantou grâce à des paradigmes vertueux sur la vision de l’univers. C’est ce substrat intrinsèque à l’homme noir, à l’homme Kongo, transmis au cours des millénaires, qui a permis la naissance des grands hommes qui ont élevé l’Afrique à la magnificence pharaonique, puis à la résilience face à la barbarie esclavagiste, et enfin a fécondé la renaissance de l’homme africain des cendres coloniaux.

Dans ce rendez-vous d’aujourd’hui, nous allons aborder la Mémoire et l’Héritage d’André Grenard Matswa. Ce Grand leader et militant de la cause panafricaine, premier homme politique du Congo, précurseur de la renaissance africaine. Grenard Matswa, que les générations post-indépendance connaissent peu ou ignorent du fait du contexte politique de notre pays.

Nombreux sont ceux qui entendent parler du matswanisme comme mouvement religieux. C’est un raccourci qui brouille les repères et masque la réalité objective. Le matswanisme est éminemment un mouvement politique qui a creusé les sillons indélébiles de l’évolution sociale et politique à l’origine de l’indépendance du Congo-Brazzaville.

Matswa aurait eu 59 ans à l’indépendance du Congo, et 100 ans à la fin du siècle avant ce millénaire. Malheureusement, les circonstances et la cruauté coloniale en ont décidé autrement. En guise d’introduction, je dirais que Grenard Matswa, cette figure emblématique reléguée à l’arrière-cours de la république, est une icône modèle reconnue sous d’autres cieux.

Qui était André Grenard Matswa ?

Parler de sa naissance et aligner l’historiographie de sa vie ne suffit pas à connaître l’homme que le Congo vénère en quasi-clandestinité, et que l’État officiel ignore royalement en toute insignifiance. Et pourtant, Matswa est le plus haut digne fils que le Congo n’ait jamais vu naître. Ce superlatif mérite sa place. Les pseudos révolutionnaires du Congo qui ont tenté d’y substituer un fils du bord de l’Alima ont vite déchanté. Le Congo est bien le pays de Matswa comme le démontre l’histoire.

Pour présenter Matswa, nous allons exposer ses idées et les fondements philosophique et politique de de son action au cours de la période coloniale qui a commencé 15 ans avant sa naissance et a fini 15 ans après sa disparition. Point n’est besoin de rappeler que dans le contexte du Congo, la République est proclamée en 1958.

D’emblée, je dirais que Matswa est un colonisé instruit par le biais des missionnaires à MBamou. Il gagnera son émancipation en complétant sa formation en France entre 1921 et 1924.

L’engagement politique de Matswa est une volonté et une conscience forgée à partir des éléments endogènes de son environnement. Matswa a remarqué très tôt le traitement inhumain, les injustices et le mépris de l’élite coloniale envers les populations africaines dites indigènes. L’élite coloniale est constituée des administrateurs civils, des militaires et des missionnaires. Ayant pris conscience de cette situation malsaine, il va engager une lutte politique pour sortir les autochtones du code de l’indigénat qui était très restrictive en droit et contraignante aux indigènes. Cette lutte va l’amener à vivre de multiples péripéties jusqu’au péril de sa vie dans des conditions jamais élucidées. Même le système politique qui succèdera au système colonial, feindra de ne jamais s’intéresser au sort réservé à cette figure emblématique et charismatique, qui a consacré avec abnégation sa vie à la libération de sa terre natale et de son peuple.

Civilement, Matswa est né le 17 janvier 1899 à Mandzakala, village proche de Kinkala à 70 km de Brazzaville. Il reçoit ses premiers enseignements durant 4 ans à la mission catholique de Mbamou. Cet enseignement l’avait préparé à un métier de catéchiste qu’il assuma malgré lui à Mayama. Ce poste lui permettra très tôt d’aborder, avec ses catéchumènes, les problèmes relatifs à la colonie et les rapports entre les autochtones et les européens.

Cette passion l’amena à quitter Mayama, au bout de quelques années, pour se rendre à Brazzaville. Soucieux aussi d’améliorer ses conditions de vie. C’est avec cette volonté qu’il arrive à Brazzaville en 1919 et trouve un emploi au service des douanes où il se fera remarquer par ses qualités. Dans la ville, il s’active dans les milieux intellectuels de la place et apparait aux yeux de ses compatriotes comme un leader politique avisé, au fait des problèmes politiques. Il tisse aussi des liens avec les milieux européens de la place.

Constatant donc le Gap culturel entre les noirs et les européens de la colonie, Matswa se convainc que les noirs doivent fréquenter l’école blanche pour acquérir les codes civilisationnels des européens, afin de pouvoir ensuite régler les problèmes politiques par le dialogue, la diplomatie et la négociation. Sa soif d’apprendre va le pousser à rejoindre l’Europe. C’est ainsi qu’il quitte Brazzaville pour se rendre à Matadi et gagner l’Europe, par bateau. Il débarque à Anvers en 1921. Puis, il se met en route pour Bordeaux et Marseille.

En France, Matswa est galvanisé par l’influence des associations noires qui combattent la domination occidentale dans le monde. Ces influences vont aiguiser sa sensibilité, affiner sa pensée politique et sa stratégie pour régler légalement les problèmes coloniaux en Afrique. Pour cela, il va déployer son génie.

  • Tout d’abord, en s’imprégnant de la culture occidentale par la formation, pour en maîtriser les codes et les subtilités. Il va devenir comptable et exercera plutard ce métier à l’hôpital Laënnec à Paris.

  • Ensuite, son génie l’amène à sortir du statut d’indigène. Par la naturalisation, il acquière la citoyenneté, pour être l’égal en droit des blancs qui gèrent la colonie de l’AEF.

  • Enfin, ce génie s’exprime en soignant son apparence et sa tenue. Être le cadre intellectuel en col blanc. Ce n’est pas le « m’as-tu vu » auquel les adeptes du loisir vestimentaire voudraient le réduire en en faisant leur icône.

Matswa, montre une farouche détermination à gagner le mérite et le respect de l’européen. C’est cette détermination qui le pousse à s’engager dans l’armée française. Dans le régiment très connu des « tirailleurs sénégalais », il participe de 1924 à 1925 à la guerre du Rif, des coalisés européens contre les Berbères du Maroc. À son retour de la guerre, il obtient le grade de sous-officier, et s’installe à Paris. Il y travaille en tant que comptable et crée le 17 juillet 1926 l’association l’Amicale des originaires de l’Afrique Équatoriale Française. C’est un fait capital, car l’association l’Amicale dote Matswa d’une personnalité morale et juridique, indispensable pour communiquer avec les autorités françaises de la métropole et des colonies.

Cette association deviendra donc l’instrument de dialogue avec le système colonial dans son ensemble. Le mot dialogue est approprié, parce que dans l’esprit de Matswa, la libération doit passer par la négociation. Parce qu’il fait confiance à l’européen qu’il connaît et fréquente. N’est-ce pas ce même européen qui lui a permis d’étudier, de séjourner en France et d’y travailler ? Mais il y a mieux. Il a obtenu la naturalisation et détient une distinction militaire. Ce sont là des atouts qu’il va mettre à profit.

Dans les objectifs de l’association, Matswa insiste sur les points suivants :

  • Premièrement, la nécessité de former les africains qui arrivent en métropole. Plus particulièrement, disposer des locaux pour accueillir les étudiants congolais qui viendront poursuivre leurs études en France. On voit bien le projet de la MEC, Maison des Étudiants Congolais, ce joyau de la République acquis sous Youlou, mais que Sassou-Nguesso est venu liquider en 1983 sans justifier ce qu’il a fait de l’argent de la vente.

  • Deuxièmement, l’entraide sociale entre les membres et l’assistance juridique et médicale, élargie aux compatriotes en proie à des difficultés dans l’hexagone.

  • Enfin, sur les questions politiques et religieuses, Matswa prend la précaution de ne les aborder que si l’intérêt de l’AEF l’exige. Ce n’était pas qu’une stratégie, mais aussi une conviction. Parce qu’il savait ces domaines sensibles. Les aborder d’emblée dresserait frontalement le colonisateur. Il serait plus productif de les poser en termes de droits et des libertés fondamentaux. Il matérialisera cette conviction dans ses prises de positions centrées sur les problèmes sociaux, avec une agilité intellectuelle et verbale irréprochable. Quiconque a lu les nombreuses lettres de Matswa s’en convaincra. Un style pur et limpide. Ce que l’on appelle le soft-power, Matswa l’a expérimenté bien avant.

Mais malgré cette précaution, Matswa se fera déborder sur le plan politique à cause des milieux coloniaux au Congo qui vont se montrer hostiles à l’endroit de l’Amicale, et commettre des violations flagrantes des droits sur les populations au Congo.

Pour la fluidité relationnelle avec les autorités, Matswa place l’association Amicale sous le patronage du ministre des Colonies et du gouverneur général de l’AEF qui valideront le projet. L’Amicale aura des délégués dans toute l’AEF élargie au Congo-Kinshasa et l’Angola. Par ailleurs, Matswa et Kimbangu, avant que ce dernier ne soit emprisonné, avait eu des rencontres très prometteuses sur le futur de l’Afrique.

En septembre 1929, deux délégués de l’Amicale embarquent pour le Congo. Après un voyage qui a duré et quelques escales, ils arrivent à Brazzaville où ils sont reçus par les autorités de l’AEF. L’exposé du projet de l’Amicale est si prometteur que le gouverneur, de son plein gré, décide de subventionner l’association à hauteur de 1000 Francs CFA annuel. Les délégués vont ensuite entreprendre une campagne de sensibilisation des populations dans le pays. Ils récoltent près de 110.154 Francs CFA et 80 centimes.

Qui aurait douté que ce succès deviendra très vite le début du cauchemar de Matswa et de l’Amicale ? C’est ce que nous allons développer dans la suite.

En effet, les foules qui convergent sur les places publiques, les villages, les marchés et les centres urbains, apprécient le message des délégués amicalistes. Les populations rêvent de liberté. Inévitablement, les foules exposent aussi les problèmes politiques et divers. Quoi de plus normal que d’échanger sur des sujets qui impactent la vie locale ou qui attisent la curiosité d’en savoir sur la vie européenne en Occident. Les extrémistes blancs des colonies, notamment à travers un journal l’Etoile de l’AEF, vont utiliser ce prétexte et déformer les propos des rencontres informelles pour exciter l’administration coloniale. Celle-ci va succomber à leurs requêtes et prendre des mesures. C’est ainsi que le triptyque « extorsion, rétorsion et répression » va se mettre en œuvre contre l’Amicale, au Congo et en France.

En même temps, l’adhésion à l’Amicale en France afflue et l’influence de l’Amicale s’accroit. Il intègre la Ligue Internationale. Auparavant, en 1928, Matswa écrit 2 lettres au président du Conseil français, monsieur Raymond Poincaré. Dans ces lettres, il dénonce le code de l’indigénat et les abus des sociétés concessionnaires au Congo. Cette audace de s’attaquer au pilier économique des colonies va provoquer l’ire des autorités françaises, au Congo et en France. Point n’est besoin de rappeler que l’implantation coloniale s’appuyait économiquement sur les sociétés concessionnaires.

Au Congo, les délégués de l’Amicale, Nganga Pierre et Constant Balou en campagne de collecte de fonds, sont arrêtés et emprisonnés. Ces arrestations sont le signe que l’administration coloniale se rétracte et s’emploiera désormais à saper l’implantation de l’Amicale au Congo. D’autant plus que le bruit court que Matswa va être arrêté et ramené au Congo sous l’accusation d’escroquerie et d’incitation à la rébellion. La réaction des sympathisants, des chefs traditionnels, des chefs de terre, de canton et de village ne se fera pas attendre. Tous s’opposent à ce qu’ils considèrent en une entrave à l’émancipation des noirs. Mais, la fermeté et la répression des colons ne fera qu’accroître et se montrer inflexible. Alors le climat social se détériore très vite. Des notables en pays Kongo vont à leur tour se faire arrêter. Et le mouvement social rentre inexorablement en résistance anticoloniale déclarée.

En France, Matswa subit aussi le harcèlement administratif et judiciaire. Son domicile est perquisitionné et les archives de l’association sont saisies, ainsi que des documents personnels. Sa loyauté envers la France est mise à rude épreuve. C’est ainsi qu’il adresse une lettre poignante à son avocat pour tenter de faire libérer les amicalistes et tous ceux emprisonnés au Congo. Je publierais cette lettre datée du 6 novembre 1929 dans une autre vidéo.

Malgré le soutien de beaucoup de personnalités françaises dans l’hexagone, Matswa ne parvient pas à faire fléchir les autorités coloniales, sous le gouverneur Antonetti, et les autorités françaises à Paris. Son avocat, soit dit en passant, que c’est un ami intime du président français, monsieur Doumergue. C’est dire que la décision de barrer la route à Matswa était prise au plus haut sommet de l’État français. Finalement, Matswa est arrêté fin décembre 1929 à Paris. Il est immédiatement transféré à Brazzaville et incarcéré. Cette incarcération déclenche une épreuve de force entre les matswanistes et le système colonial au Congo. Le Chef Goma Tsé-Tsé, vétéran de guerre lui aussi aux côtés de Matswa, écrira une lettre au gouverneur général de l’AEF, en vain. C’est-à-dire, la lettre est restée sans suite.

Face à l’arbitraire et la machine répressive, les matswanistes et tous les pays Kongo répondent par la désobéissance civile. L’arme fatale de la non-violence de Matswa pour défendre les droits de l’homme. Cette désobéissance apporte un élément nouveau dans la conscience des noirs. Le changement du regard envers le blanc. Jadis respecté, l’européen sera désormais l’objet de mépris et de menaces en tous genres dignes d’une lutte interraciale. Ce changement de regard, c’est la banalité exposée de l’homme européen, à partir du portrait peint par ceux qui ont séjourné en Europe où ils ont découvert des clochards, des prostituées et des délits de droit commun. Cette nature décomplexe la conscience des noirs qui en majorité avaient des préjugés positifs du blanc. Dans le même temps, la condescendance régresse et la peur change de camp. Il s’opère donc un changement de mentalité qui va progressivement changer la donne politique de la colonie.

C’est dans ce climat de défiance que va se tenir à Brazzaville, le 3 avril 1930, le procès de Matswa et de ses délégués, devant une foule immense révoltée, prête à en découdre. À l’issue du procès dont le sort ne faisait aucun doute, Matswa est condamné à 3 ans de prison et à 10 ans d’interdiction de séjour au Congo. De même, la section Congolaise de l’Amicale est administrativement dissoute. Cette condamnation provoque des émeutes inévitables. Les blancs et responsables des colonies sont giflés et molestés. Mais la stratégie de libérer de force les prisonniers n’a pas fonctionné. Et les détenus sont déportés à Fort-Lamy au Tchad par l’administration coloniale. L’un d’eux, Kyelle Tenard y trouvera la mort.

Matswa, bien que possédant la nationalité française, n’a pas eu le traitement réservé aux blancs. Il a été jugé devant un tribunal réservé aux indigènes. Il a été méprisé par une puissance qui allait s’effondrer quelques années après.

À la suite de ce procès, les matswanistes décrètent la grève générale et la ville morte, à Brazzaville comme à Pointe-Noire. La situation va durer un certain temps puis revenir à la normale à coup de répression, déportations et radiations de fonctionnaires. Mais ce bras de fer va persister dans les consciences désormais éveillées. Une désolidarisation s’est tout même manifestée dans la société indigène. Certaines sociologies ont reproché aux Laris de vouloir dominer, contrôler le pays et de réclamer la citoyenneté. Pour éviter la polémique, nous n’allons pas insister sur ces sociologies qui se sont tenues à l’écart de cette lutte sur fond de rivalités ethniques.

Mais la lutte de Matswa ne se trouvera pour autant pas estompée par sa condamnation et sa déportation. Les matswanistes continueront à occuper l’espace social au Congo. Réclamant sans cesse la libération de leur leader et ses amis tout en poursuivant la désobéissance civile et le boycott tous azimut. Les tentatives du colon pour corrompre les chefs traditionnels des pays Kongo échouent. Les chefs avaient statué de refuser tout cadeau ou don venant de l’administration et des missionnaires qui utiliseraient ce moyen pour restituer en douce l’argent confisqué de l’Amicale. Même les élèves refusaient toute rétribution d’argent. C’est cela la résistance passive et anticorruption.

Par sa volonté de retrouver la liberté, le 17 septembre 1935, Matswa, bien que malade, s’évade du Tchad et gagne le Nigéria. Il s’évade parce que les 3 ans d’emprisonnement sont dépassés et que l’institution carcérale devait le rétablir dans ses droits. Elle ne l’a pas fait parce qu’elle voulait le voir périr sans gloire, à l’abri de tout regard. Ce qu’elle réussira quelques années plus tard. Mais Matswa l’avait compris et n’a pas hésité de se libérer du funeste destin qui lui était réservé.

L’interdiction de séjour au Congo va obliger Matswa, désormais fugitif, à regagner la France. Aussi, le besoin de s’entretenir d’abord avec les siens au Congo l’amène à emprunter la route pour regagner le Congo. Avec l’aide des compatriotes qui le reconnaissent. Mais en route, il connaitra une mésaventure. Il se fait arrêter en Centrafrique mais réussit aussitôt à s’échapper. Laissant passer quelques jours, le temps que les recherches cessent, il parvient à regagner le Congo. Puis pour sa sécurité, il s’installe au Congo-Kinshasa. Il lui faudra 3 mois pour retrouver sa santé. On peut constater par son état combien le colon cherchait à le faire périr à tout prix.

Remis de sa santé, et après avoir réorganisé son mouvement au Congo, où les revendications se sont durcies et politiquement affirmées, il s’embarque pour Paris, sous une identité d’emprunt. Pour ce voyage, il séjourne d’abord à Dakar et au Maroc où il a des amitiés liées lors de la guerre du Rif. Arrivé à Paris en 1937, au su des autorités françaises dès lors que Les amicalistes au Congo en furent informés, Matswa reprend discrètement ses activités associatives.

Mais, en 1939, au moment de la seconde guerre mondiale, Matswa s’engage à nouveau dans les troupes françaises. Laissons de côté l’analyse des motivations de cet engagement. Est-ce par loyauté en tant que citoyen français ? Est-ce pour obtenir l’assouplissement des autorités à son égard ? Toujours est-il que son combat politique était un trop gros caillou que la France coloniale ne pouvait digérer. La suite le démontre.

Matswa est blessé au front et hospitalisé à l’hôpital Beaujon. Le 3 avril 1940, il est arrêté sur son lit d’hôpital et accusé d’intelligence avec l’ennemi. Quel ennemi ? Encore une accusation fantaisiste. En tant que soldat, s’il en était le cas, il devait être jugé devant une cour martiale. Mais au lieu de cela, il est aussitôt retransféré à Brazzaville. Remarquons que l’accusation ne mentionne même pas l’évasion.

Au Congo, l’attachement au leader politique Matswa est demeuré intact. Malgré la répression féroce, les villages brulés, les sévices corporelles, des actes d’inceste forcée, la déportation en masse des chefs et autres amicalistes, renvoie des écoles des enfants Laris. Lorsque Matswa arrive au Congo le 19 mai 1940, il est directement jeté en prison de longs mois sans jugement. Pendant ce temps, l’administration mène une campagne de dénigrement à son encontre pour diminuer son prestige auprès des siens.

Comme pour Kimpa-Vita, le gouverneur Boisson tente de faire brûler vif Matswa par les chefs Bakongos. À plusieurs reprises, dans les localités telles que Mayama et Mindouli, il n’y parviendra pas. Les chefs rejettent ce vicieux traquenard et réaffirment leur attachement à Matswa et à l’Amicale.

Finalement, le 8 février 1941, Matswa est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Matswa n’a pas eu droit à un avocat, ni le droit de se défendre par lui-même. C’était une parodie de justice. Après cette condamnation, Matswa fut à nouveau exhibé aux Chefs Bakongos pour le faire brûler. Mais ni à Mayama, ni à Kinkala, ni à Mindouli, le gouverneur Buttafocco ne parvint à ses fins. Les chefs reconnaissaient en Matswa un leader vertueux et honnête.

Incarcéré à Mayama, le 13 janvier 1942, l’administration annonce la mort de Matswa. Elle prétend que Matswa est tombé malade la nuit, décédé la même nuit et enterré au petit matin. L’étonnement et la désapprobation furent général. Car, personne n’a vu sa dépouille. Alors que l’usage veut qu’on restitue le corps aux parents, la farce des colons était trop grosse pour être avalée. Ce fait marque l’origine de la croyance sur Matswa qui ne serait pas mort et qu’il allait réussir à nouveau à échapper à ses bourreaux et réapparaître. D’autant plus que des récits fantasmagoriques viendront tour à tour alimenter la vie. Certains l’auraient aperçu quelque part, sur le continent ou en dehors. Mais tous ces récits participent seulement à faire croire que Matswa avait abandonné le combat politique, en même temps qu’il se serait désintéressé du sort des siens.

Nous, matswanistes politiques, restons convaincus que le système colonial à assassiné Matswa sans autre forme de procès et a dissimulé ce crime barbare en inventant des histoires pour brouiller les pistes. La vérité n’a pas de tombe. Nous déclarons que ce contentieux est imprescriptible.

Par son ambition de libérer le Congo du joug colonial, Matswa fait partie des dignes fils du continent qui ont écrit les lettres de noblesse pour l’émancipation de l’homme noir. Par sa bravoure, son engagement, sa volonté, il s’est hissé à un haut niveau intellectuel pour affronter ses interlocuteurs. Par son action politique stratégique et d’envergure, il a combattu l’entreprise coloniale en plein essor. Nos grands parents ne pouvaient raconter l’histoire du Kongo sans parler de Matswa et de Kimbangu. Deux figures emblématiques de la libération de l’Afrique. Matswa sur le plan politique. Kimbangu sur le plan spirituel.

Pour sa mémoire, revisitons les sauts qualitatifs opérés par André Grenard Matswa sur les plans culturel, intellectuel, politique, les droits de l’homme et l’unité panafricaine.

Matswa a puisé dans la profondeur culturelle du Bukongo les forces de libération de l’esprit. C’était un grand maître du Lemba qui a sacrifié sa vie, sans enfant ni union conjugale, pour accomplir sa mission. Il est aussi celui qui a permis, pas que sur le plan politique, mais aussi sur le plan culturel et cosmogonique aux africains de bien aiguiser, planifier stratégiquement la lutte, en utilisant le droit et l’unité du peuple. Il nous lègue une pensée spirituelle remarquable en référence à Mâma Wa Ndombi, la vierge noire primordiale. Notre culture est riche et constituée de nobles vertus. L’entreprise coloniale a voulu l’inhiber au 15e siècle par l’esclavage. Peine perdue.

Matswa a montré une volonté de se cultiver intellectuellement et a réussi à faire échec et mat aux blancs qui ont esquivé de l’affronter sur le terrain du droit. Son habileté et ses lettres pleines maturité le prouvent. C’est l’homme politique par excellence de la dignité africaine. L’homme qui a démystifié le complexe européen des noirs des colonies. C’est un homme qui a contribué dans l’éveil de l’Afrique sur l’appropriation de son destin. Par la dimension stratégique, il a développé une culture nouvelle différente de la soumission, de la mendicité et de la courbette vis-à-vis des européens qui sont venus, que les africains ont accueillis, et qui malheureusement, ont transformé cette hospitalité, cette fraternité, ce sens de l’accueil en une opportunité pour eux de dominer notre continent.

Matswa est ce grand leader du Congo qui a placé le patriotisme au plus haut niveau de ses idéaux. L’unité de l’Afrique, et celle du Congo, a structuré son action politique. Ses délégués venaient de toute l’AEF. Le panafricanisme était son crédo.

Matswa est l’un des premiers africains qui déclenche le combat politique contre la colonisation française en AEF et en métropole. Tous les autres leaders politiques émergeront après 1945 lorsque l’ouverture sera donnée à l’Afrique d’avoir des élus à la chambre des représentants en France. En 1926, il est l’un des premiers à avoir pensé à la création d’une association politique de dimension africaine. L’Amicale des originaires de l’AEF a regroupé plusieurs nationalités de l’AEF et a créé des sections dans chaque État de l’AEF plus au Congo-Belge et l’Angola.

Matswa est aussi, malgré sa disparition le 13 janvier 1942 à Mayama, le premier élu du Congo. Il était aussi le mieux élu en termes de voix. Son absence profitera à Jean Félix Tchicaya qui n’était que 3e sur la liste, en 1945, lors des élections des premiers représentants de l’Assemblée constituante du Moyen-Congo. Le second s’étant désisté. La France coloniale craignait-elle un leader trop influant et stratégique ?

Matswa, le panafricain par excellence. Il a inspiré Barthélémy Boganda qui a repris le projet d’état fédéral de l’AEF. L’exil l’a fait connaître le Sénégal, Le Tchad, le Nigéria, le Centrafrique, le Maroc, le Congo-Kinshasa étant un terroir naturel. Il est le précurseur des grands panafricanistes du crépuscule du colonialisme comme Kwame Nkrumah, Félix Moumié, Patrice Lumumba, Ruben Um Nyobé, Kasa-Vubu. Tous ces grands panafricanistes qui avaient insisté sur l’unité africaine, Matswa les avait précédés car son action se situe à l’aube du colonialisme naissant.

Le panafricanisme, est cet idéal que l’Occident craint. Le guide Mohammar Khadafi qui a voulu s’appuyer sur cette unité africaine, pour un changement géopolitique majeur au niveau du continent et surtout dans le monde, en a aussi payé de sa vie.

Matswa, l’illustre défenseur des droits de l’homme. Il est ce grand leader politique qui a affronté les compagnies concessionnaires et les gouverneurs coloniaux. Militant infaillible de la résistance à l’oppression par la non-violence et par la négociation politique. Il subira la prison, l’exil et la persécution des siens. Et malgré les humiliations, il a été résiliant face à la barbarie européenne qui a cherché à nier l’intelligence de l’homme noir.

Matswa, grand penseur et promoteur des idées sociales. Il est l’initiateur de la MEC, Maison des étudiants Congolais. Il est le précurseur de la mutualisation de la santé. Le système colonial a copié ce projet en le rebaptisant Société Indigène de Prévoyance. De Gaulle l’a appelé Sécurité Sociale.

Ce répertoire mémoriel est impressionnant. On en dira tout autant sur l’héritage de Matswa.

L’héritage de Matswa est immense et immatériel. L’immatériel est inaltérable. Le Congo doit en être fier et en prendre soin. Les antagonismes géographiques du Congo, il les avait dépassé et annihilé. Notre pays est constitué certes de sociologies. Mais il ne doit pas demeurer ce que le colonisateur a voulu qu’il soit à travers sa cisaille ethniciste qui transforme le pays en un enclos où nous ne savons pas, en fonction des considérations identitaires, donner honneur aux hommes qui se sont battus pour la dignité de l’homme noir et du continent.

Aujourd’hui quand on parle du pays, on ne voit que des opportunistes dont les prétentions, plutôt l’inconscience, ont croisé les ambitions occidentales pour nous assujettir et nous dresser les unes contre les autres. Oubliant que nous avons un destin commun : celui de vivre et réussir ensemble, autrement que de mourir ensemble comme des idiots.

Dans l’espace cosmogonique Kongo, ils sont nombreux ces résistants de la lutte anti-coloniale. Je pense à la Reine Souverainiste Kimpa-Vita qui a été brûlée vive le 2 juillet 1706, à seulement 22 ans, pour avoir cherché à réunifier le royaume du Kongo. Je pense aussi à Mvuluzi Kimbangu qui a purgé 30 ans de prison dans une minuscule cellule de 2 mètres sur 3, sur un lit en béton, et mort le 12 octobre 1951 en prison, à l’âge de 64 ans.

Cette liste mémorielle n’est pas exhaustive. Juste pour dire que Matswa et d’autres sont des monuments qui ont œuvré et redonné confiance aux africains. Ils nous ont permis une fois de plus de penser l’Afrique avec nos propres idées, notre propre vision, nos propres investigations et nos propres grilles de lecture. Nous nous inclinons devant ce patriarche qui a permis à l’Afrique de relever la tête, de marcher sur le chemin de la dignité, de la responsabilité, et surtout de la quête et affirmation de la souveraineté de notre continent.

L’action politique de Matswa enseigne aux générations du Congo et d’Afrique que « les nations occidentales s’opposent violemment à l’indépendance de l’Afrique ». D’autant plus, quand l’unité africaine y est adossée. Cette unité est une tectonique géopolitique majeure qui change beaucoup les rapports de force internationaux. Les nouvelles générations doivent intégrer le logiciel panafricain et le patriotisme initiés par Matswa. Il faut que cette conscience africaine s’amplifie davantage. La vision panafricaine est en train d’unifier les peuples, crée des vagues de libération dans plusieurs pays. C’est la preuve que Matswa avait une vision juste et clairvoyante.

Quand il disparait en 1942, à l’âge de 43 ans, et inhumé nuitamment, en l’absence de tout notable de sa sociologie, en l’absence de tout parent, il est normal que sa communauté conclue à une ruse de l’administration coloniale, après avoir cherché à ternir son image et à le réduire en cendres. Que sa disparition était une fois de plus une déportation vers une destination inconnue. Cette raison a poussé les amicalistes à proposer Matswa sur la liste des candidats lors des premières élections du Moyen-Congo en 1945. L’Amicale espérait que Matswa élu, cela forcerait l’administration coloniale à le rendre aux siens. Ce n’était pas mal pensé, bien que discutable comme stratégie. En revanche, il est légitime de se poser la question « pourquoi les autorités coloniales avaient-ils validé la candidature de Matswa pour ensuite invalider son élection. »

Les circonstances de sa disparition rocambolesque ont engendré la croyance en Matswa encore vivant. Et plutard le culte en sa personne. Le culte est une tradition classique du Ngunza où l’on invoque les ancêtres méritants. Matswa est l’un d’eux. N’en déplaise à ceux qui s’opposent à l’authenticité spirituelle négroafricaine.

Mais l’héritage qu’il nous lègue n’est pas religieux. Le matswanisme est un mouvement éminemment politique. Le Congo a besoin de sa mémoire pour fortifier patriotiquement le pays. Parler de Matswa, comme le fait le think-tank ACTE, c’est apprendre aux africains que le panafricanisme est une histoire et une continuité qui a ses lettres de noblesse écrites dans le sang.

Le colonisateur Buttafocco, qui a voulu réduire en cendres Matswa, a avoué en privé lui reprocher l’ambition de vouloir libérer toute l’Afrique Équatoriale Française. C’est dire combien l’Afrique doit retrouver le chemin de l’unité et de la mémoire historique. Parce que l’ingratitude historique est trop flagrante. Une fois indépendant, le Congo a ignoré ce grand homme qui a posé les bases de l’indépendance de ce pays.

Concluons simplement que l’Afrique affiche une ingratitude historique sur son passé, et une ingratitude sur les œuvres intellectuelles.

Sur le passé, les endo colons zappent l’enseignement de l’histoire africaine dans le système éducatif. L’oubli ne peut justifier le fait. Il existe une raison fondamentale qui participe à ce boycott sur l’histoire authentique africaine. Pourtant l’Histoire Générale de l’Afrique existe où l’on peut puiser des références. Dès lors, il apparaît clairement que ce zapping est un acte délibéré des régimes africains clonés sur le système éducatif colonial.

  • Certains endo colons admettent le narratif eurocentré présentant la colonisation en une volonté occidentale à civiliser l’Afrique. Cette escroquerie culturelle explique la déconsidération des acteurs locaux perçus autrement que comme des troublions sans intérêt. On est en pleine illustration d’un logiciel endo coloniale, opportuniste et orthogonal, qui boycotte la fierté mémorielle africaine.

  • D’autres endo colons pousse le nihilisme allant jusqu’à ériger ou maintenir sur le continent des monuments qui agressent la conscience historique africaine. Une patrie reconnaissante est celle qui met en valeur la mémoire collective de ses fils auteurs ou victimes de faits mémorables à travers les lieux publics comme les noms de rue, de gare, des bâtiments culturels, des vaisseaux, etc.

L’ingratitude sur la pensée intellectuelle est aussi manifeste. Parce que, partout en Afrique, on remarque le manque criard de bibliothèques et d’éditeurs de renommé continentale. Cette ingratitude constitue un crime contre l’intelligence et la créativité qui nécessitent réparations. Des pans entiers de l’intelligentsia africaine sont des indésirables chez eux, contraints de vivre une existence comparable à un exil forcé. Les délits d’opinions se comptent par milliers. C’est ce qui explique aussi la progression lente des idées panafricaines qui épouvantent les clones du système colonial en Afrique.

En définitive, nous affirmons haut et fort que le tableau d’honneur africain n’est pas une page blanche. L’espace mémoriel est phagocyté par des esprits qui refusent d’inscrire les dignes fils d’Afrique sur cette page officielle. Ce tableau d’honneur n’a pas besoin de la reconnaissance paternaliste occidentale.

Gloire éternelle à André Grenard Matswa

La Patrie reconnaissante.

Fait à Paris, le 14 août 2023.

Né-MFUMU Madisu-Ma-Bimangu

Août 2023, Paris – France.

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