Jean-Pierre Banzouzi
Sommes-nous face à un déclin ou à un regain sur le continent ? Les moments de turbulence observés en ce début du 21ème siècle, notamment la résurgence des conflits en Afrique centrale et en Afrique de l’ouest (Sahel), obligent les analystes à s’interroger sur la trame de fond de ces chambardements géopolitiques.
En Centre-Afrique, au Mali, en Guinée, au Burkina-Faso, au Niger, en RDC, la résurgence des différents entre les Autorités de l’ancienne puissance coloniale et les Autorités militaires des Etats Africains précités s’accélèrent. De même, des casus belli perdurent et sont quasi transnationaux entre les compagnies concessionnaires étrangères installées dans ces contrées et les sociétés civiles africaines désormais éveillées et affidées au « mouvement panafricaniste ».
Or il est difficile de comprendre les soubresauts actuels, si on ne se réfère à l’histoire. Le pacte colonial – à travers les contrats léonins – même aujourd’hui assoupli, hante encore la France-Afrique en débit de la déclamation de son décès supposé par les protagonistes eux-mêmes. Déjà dans l’Empire français, plusieurs figures emblématiques se gargarisaient de leurs colonies : -Colbert le chantre de ce pacte colonial au 17ème siècle prétendait que je site «Les colonies sont faites par les métropoles, et pour les métropoles.»( 1)Colbert Contrôleur des finances sous Louis XIV 1665-1683 cité par ;Colloque L’Harmattan « L’État et le destin de l’Afrique » Pacte colonial, Compagnies concessionnaires, et État en Afrique. -Jules Ferry au 19ème siècle, parmi d’autres, soutenait l’expansion coloniale « La politique coloniale est la fille de la politique industrielle »(2) (cité par Thobie et Meynier, histoire de la France Coloniale revue française d’histoire d’outre- mer no 294,1991, p. 92).
-Les économistes néoclassiques entre autres (J .B Say) inscrivaient l’aventure coloniale dans le cadre de la liberté d’entreprendre, de la recherche des débouchés et d’opportunités d’investissement.
C’est ainsi que fleurirent ici et là en France les sociétés de géographie qui connurent un regain d’activité dans la moitié du 19ème siècle sous la Troisième République française. Ces Sociétés de géographie privées devinrent des intermédiaires privilégiés de la stratégie coloniale des concessions en Afrique. (3) Les Sociétés de géographie en France et l’expansion coloniale au XIXe siècle ; Dominique Lejeune, ed. Albain Michel. On y comptait des Négociants, des Marchands de tout genre, des Militaires, des Notables qui se précipitèrent en Afrique pour profiter des réseaux coloniaux de l’entreprise coloniale. Ces concessions devaient permettre l’établissement des compagnies à monopole d’exploitation des ressources africaines (ivoire, caoutchouc, mines, arachides, cacao, etc.).
C’est dans ce contexte que des mercenaires comme Henry Stanley (1879, militaire) au service des commanditaires, au premier rang desquels le roi des Belges Léopold II et Savorgnan De Brazza (1882, militaire) pour le compte de la Troisième République française. C’est dans ce contexte aussi que naitrons plus tard des entités territoriales pour la mise en valeur des ressources des colonies, l’Afrique Equatoriale Française (AEF) recouvrant les territoires du Gabon, du Congo-Brazzaville et de la République Centrafricaine, et du Tchad, et l’AOF en Afrique de l’Ouest, Afrique Occidentale Française, recouvrant le Sénégal, la Mauritanie, le Soudan, la HauteVolta, le Niger, la Guinée française, la Côte d’Ivoire et le Dahomey.
A l’époque déjà, ces entreprises d’exploitation des concessions ne se firent pas sans heurts. Les résistances africaines rendirent difficiles l’expropriation des terres et l’installation des compagnies concessionnaires. Catherine Coquery-Vidrovitch 2/ relate ces révoltes au Moyen-Congo notamment dans la Shanga (4). Catherine Coquery-Vidrovitch. Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1898-1930. Tome1. Ed. EHESS.
Au Congo belge et au Congo français, c’est suite à la frénésie de cette même mise en valeur des richesses des colonies que les compagnies concessionnaires « privées » s’arrogèrent les territoires et pratiquèrent abusivement le travail forcé au point de « choquer » les Autorisés progressistes de l’Empire et entrainer son abolition. Depuis, les acteurs de l’exploitation de l’Afrique se sont diversifiés, la seconde guerre au 20ème siècle ayant rebattu les cartes en faveur des puissances coloniales vainqueurs de la guerre et qui ont désormais eu en ligne de mire les ressources du Bassin du Congo (le cuivre, le cobalt, l’argent, l’uranium, le plomb, le zinc, le cadmium, le diamant, l’or, l’étain, le tantale, le tungstène, le manganèse, etc.).
La chine s’est jointe au mouvement. Plusieurs compagnies ou sociétés minières occidentales y ont déferlé sous couvert de contrats négociés désormais d’Etat à Etat tout au moins en apparence.
La réalité est tout autre. Cette stratégie des concessions s’est muée en partie en une sous-traitance des Etats mercenaires africains militairement équipés par ces puissances étrangères. Ces Etats africains organisent des conflits pour piller les ressources, alors que les donneurs d’ordre, les compagnies concessionnaires elles-mêmes sont tapis dans l’ombre à Bruxelles, à Londres, à Paris, à Genève et récupèrent ces minerais à moindre coût par des canaux de contrebande.
Le Chercheur Charles Onana explique dans son livre comment cette « nouvelle stratégie » permet aujourd’hui au 21ème siècle de contrôler les ressources minières de l’Est de la République Démocratique du Congo. (5) Charles Onana, Holocauste au Congo, l’omerta de la communauté internationale ed l’artilleur, avril 2023.
Le Rwanda pays voisin de la RDC occupe des terroirs entiers à l’Est par milices interposées sous l’autorité du dit Etat devenu la plaque tournante du négoce des minerais du sang pour le compte de ces compagnies concessionnaires établies en Occident (6) documentaire « du sang de nos portables », reportage sur la RDC, TV5. Ces Etats mercenaires africains se sont vus pousser les ailes jusqu’à mettre en œuvre des stratégies complémentaires « pacifiques » celles-ci, d’acquisition tous azimuts de terres dans les pays voisins d’Afrique Centrale, en réalité, pour le compte des donneurs d’ordres.
Ici on peut observer le regain de cette politique des concessions en mutation permanente vers des formes plus subtiles qui ne sont pas moins agressives et/ou criminogènes, comme à l’époque de l’Empire. Mais la singularité en ce début 21ème siècle, c’est qu’on assiste à un mouvement paradoxal de dénonciations et de renégociations des modalités du champ d’action des partenaires et de leurs compagnies concessionnaires dans certaines Contrées africaines.
Les pays du pré-carré français non contents des résultats de la coopération sécuritaire avec l’ancienne puissance coloniale se rebiffent et veulent essayer d’autres partenaires. Ils dénoncent le manque de cohérence dans cette politique sécuritaire qui ne vient pas à bout des groupes armés transfrontières.
On oublie souvent que cette même violence des groupes armés prévalait déjà dans l’Empire à travers les expéditions militaires d’exploration. Par analogie, c’est ici l’occasion d’observer médusé, ce mouvement de plaques tectoniques dans la galaxie géopolitique mondiale qui remet l’Afrique au centre des enjeux internationaux.
Est-ce une tendance lourde ?
Nul ne peut exactement le prédire. Dans tous les cas la République Centre-Africaine, ancienne Oubangui, est l’un des premiers lieux de reflue de cette coopération France-Afrique (chère à Foccart), sous la protection spontanée d’un « nouveau » partenaire, la Russie. Les accords sont dénoncés dans la foulée voire rompus dans un climat de belligérance exacerbé soutenu par les militants « panafricains » qui saisissent l’opportunité de vilipender les pratiques de ces compagnies concessionnaires, chasses gardées des intérêts de l’ancienne puissance coloniale. Le Mali est le point culminant du déclin de cette coopération qui se voyait pourtant en terrain conquis.
Même les analystes les plus avertis ne pouvaient imaginer la célérité avec laquelle la contagion a pris en Afrique de l’Ouest. Les Autorités militaires maliennes au pouvoir sont allées très loin dans leur volonté de remettre en cause des concessions qui avaient pignon sur rue.
Le Niger est comme qui dirait le couronnement de ce moment particulier dont nous sommes 3/ témoins, incrédules, dans ces relations controversées de la France-Afrique.
Le Niger détient des ressources stratégiques (uranium) exploitées par les compagnies étrangères dont AREVA qui depuis a changé de dénomination, devenu ORANO. Le Niger est l’un des pays en conflit permanent en proie à des groupes armés.
Cette situation a conduit à la signature de contrat de coopération militaire entre ce pays et l’ancienne puissance coloniale pour éradiquer ces groupes armés et préserver les intérêts des compagnies étrangères installées sur place.
Là aussi les nouvelles autorités militaires se livrent à un casus belli quant au maintien de cette coopération stratégique. Les compagnies françaises se voient opposer le principe de réciprocité, le cas d’AirFrance au Mali. Dans l’esprit les Autorités maliennes, la langue française commune ne garantit plus à leurs yeux le monopole des marchés stratégiques à l‘Ancienne puissance coloniale.
Malgré la médiatisation de la Francophonie exaltée ici et là dans des soirées mondaines à travers le Continent africain, les relations se distendent. C’est sans doute ce qui a fait dire un peu trop vite aux médias de France et de Navarre, « c’est le sentiment anti-français ». Dire cela c’est mépriser la jeunesse africaine aujourd’hui instruite, mondialisée à la vitesse des réseaux sociaux, consciente des enjeux géopolitiques de l’heure.
Non, nous pensons qu’il n’y a pas de sentiment anti-français. Les Africains apprécient la France et les Français. C’est un fait.
Au-delà des sentiments, il s’agit de changer les rapports d’Etat à Etat, de changer le regard condescendant à l’égard des Autorités africaines, regard hérité de l’empire colonial, de jeter aux orties les oripeaux de la politique coloniale des concessions.
Il s’agit pour ces compagnies concessionnaires d’assurer le transfert de technologie à une jeunesse prête à relever le défi de l’innovation. Il s’agit de respecter l’environnement humain et écologique dans les zones d’exploitations minières.
Il s’agit de recourir à des contrats gagnant-gagnant avec des Autorités non pas démocratiquement élues, mais légitimement élues et en phase avec leurs peuples. Faits anecdotiques, comment comprendre que dans certains pays producteurs de pétrole qu’il y est des pénuries d’essence, comment expliquer que le Niger pays producteur d’uranium manque d’électricité.
Tels sont les défis à relever pour construire des relations saines que d’autres puissances coloniales ont pu instaurer avec leurs anciennes colonies à l’instar de l’Empire Britannique.
L’hostilité de la présence concurrente de la Russie et de la chine tant décriées ne suffit pas et ne convainc pas de la volonté de l’ancienne puissance coloniale à rebâtir un nouveau contrat avec ses anciennes colonies.
Jean-Pierre Banzouzi