Par, Né-MFUMU Madisu-Ma-Bimangu
Responsable du Think-tank politique, Alternative Congolaise pour une Transition d’État, en sigle ACTE.
Chers compatriotes, bonjour,
Le panafricanisme est une lame de fond qui irrigue la pensée des générations africaines, dès l’aube du colonialisme, à travers par exemple, le mouvement matswaniste initié par André Grenard Matswa en créant l’Amicale des originaires de l’AEF. Ce panafricanisme a évolué, muri et pénétré les couches sensibles des pères des indépendances africaines, au crépuscule de cette même colonisation. En ce début du millénaire, le panafricanisme est une dynamique qui s’accélère et se matérialise avec l’émergence des premiers États qui réussissent à se défaire des liens coloniaux. Tandis que d’autres, rattrapés par le déficit de légitimité, perdent la boussole paternaliste de l’Occident et tentent dans la foulée un équilibrisme géopolitique tous azimuts.
Cette dynamique qu’on observe sur le continent draine pour l’instant les peuples. Des africains impuissants ou immatures qui ont trop longtemps été soumis à un choix cornélien : l’acceptation de l’offre occidental, ou la répression multiforme. Ce choix n’offrait aucune perspective salvatrice. Au moment où le panafricanisme s’exprime avec force, il sonne comme une révolte des mêmes peuples en quête de liberté et de progrès. Nous qualifions cette révolte d’éveil des consciences éprouvées par plus d’un demi-siècle d’expériences fâcheuses avec la géopolitique occidentale, notamment française.
Parler du panafricanisme des peuples, c’est trivial. C’est une conscience séculaire à laquelle la géopolitique occidentale a voulu éloigner les africains, en les enfermant dans des enclos coloniaux. Mais la barrière psychologique est tombée. Il reste le démantèlement des frontières pour que l’union des peuples devienne une réalité.
La difficulté se trouve au niveau du panafricanisme des États. Ce panafricanisme des États n’est pas à confondre avec l’UA. L’Union Africaine n’est pas une représentation panafricaine. C’est un organe sans profondeur géopolitique, incapable de poser les bonnes problématiques pour l’Afrique, et incapable d’apporter des solutions aux problèmes de l’Afrique. Notamment en matière de souveraineté, de défense et d’État de Droit. Nous souhaitons que les pays du Sahel deviennent l’embryon des États-Unis d’Afrique.
Le panafricanisme des États, c’est la fédération des nationalités africaines actuelles en une union fédérale. Ce panafricanisme répond à l’idéal de solidarité interne à l’intérieur des États et à l’extérieur. C’est un levier géopolitique majeur pour une souveraineté continentale qui permettra de renforcer les capacités de défense collective, d’injecter l’État de Droit dans les États par l’uniformisation de la législation. Parce que le panafricanisme déconnecté de la question de la souveraineté et de l’État de Droit représenterait un danger encore plus grand à l’échelle du continent.
Le Panafricanisme, en tant qu’idéal, n’est pas une incantation acerbe des personnes dégoûtées de la géopolitique occidentale. Il est plutôt une volonté d’unir les peuples africains. N’est-ce pas l’union qui fait la force par la volonté de puissance et de libération ? Nous citons des exemples de panhumanisme comme l’Union Européenne, qui est un paneuropéanisme construit par adhésion. Ou encore le panaméricanisme qui a créé les Etats-Unis d’Amérique fécondés par la force.
Malheureusement, les élites occidentalisées ne voient pas d’un bon œil l’émergence du panafricanisme. Les raisons sont diverses. Ainsi on remarque la levée de bouclier des réseaux africains et transatlantiques qui ont toujours travaillé contre l’émergence de l’Afrique sur l’échiquier mondial.
Ces portes voix expriment, par un intellectualisme négationniste utilisant un miroir déformant, une logique de dispersion des énergies. Cette opinion essaie d’installer une sorte de paresse intellectuelle qui laisserait l’occidental gérer, comme à l’accoutumée, les choses à la place des africains. Ce discours déconstruisant esquive la responsabilité occidentale sur la situation de l’Afrique, qui rappelons le, a été abusée par ses vertus qui ont permis à l’occident d’y implanter ses ventouses. Parce que l’Afrique vertueuse a prêté des intentions humanistes à des semblables venus d’ailleurs, sur la base de l’apparence physique, qu’elle a été abusée et réduite à l’esclavage, à la colonisation puis au néocolonialisme ambiant.
Il y a certainement des raisons qui motivent ces élites à nuancer, sans doute par prudence et sagesse, les thèses panafricaines. Mais l’honnêteté voudrait que la même prudence prévale sur l’opinion qui indexe l’idéal panafricain. Parce qu’il n’y a aucun mal à vouloir prendre en mains son destin. De même, il n’y a aucun mal à vouloir crever l’abcès occidental sur l’Afrique.
Toute déconstruction de la pensée panafricaniste est une volonté cherchant à maintenir le statu quo civilisationnel et géopolitique. Et c’est un calcul hypocrite d’envisager l’avenir de l’Afrique en l’arimant au projet occidental dont le bilan politique, économique, social et culturel est sans appel sur plus d’un siècle de domination.
La déconstruction est non seulement un renoncement à l’émancipation, elle est aussi une posture. Cette posture procède d’un aplaventrisme vindicatif à la pensée occidentale, plus que ne le feraient les critiques de source européenne à leur propre géopolitique.
La déconstruction exprime une dissonance cognitive des élites adoptant une politique de l’autruche. D’un côté, ils sont persuadés de défendre une opinion objective, en relevant des paradoxes virtuels. C’est-à-dire, des paradoxes reposant sur une compréhension erronée des paradigmes européens. De l’autre, ils sèchent pour défendre un occident devenu non crédible. Finalement, ils pèchent par une fausse neutralité, par une posture d’équilibrisme subjectif espérant la récompense de la bienveillance occidentale promotrice des traitres à leurs pays.
Décortiquons les problématiques soulevées par cette déconstruction.
En premier lieu, les accords coloniaux. Nier leur existence relève de la malhonnêteté intellectuelle. Ces accords, disponibles sur le web, sont un sacro-saint texte auquel la France ne voulait qu’aucun État jette un regard révisionniste. Et pour cause, ce texte formalise le rapport de soumission voilé dans l’adhésion à la communauté française. En ce sens, les États africains ont cru à une indépendance, par pure forme. Dans le fond, c’était un clonage du système colonial, créant l’illusion de liberté, où l’autochtone remplace le gouverneur blanc. Que des africains osent dénier l’existence de ces accords est le comble de l’aliénation mentale et de la corruption des élites. Ce déni est inexplicable autrement que par une inféodation voilant à peine l’attrait des bonnes grâces du colonisateur, récompensant ses obligés par des décorations et des promotions de carrières. Ce comportement a un nom : la traîtrise où prévaut l’intérêt individuel.
La transgression à ces accords, ou tout projet de révision, a entraîné la chute des régimes tel que celui de l’abbé Fulbert Youlou, ou encore l’élimination physique de Sylvanus Olympio et de Mouammar Kadhafi. Nulle autre considération ne saurait être un argumentaire valable.
Ensuite, le conspirationnisme. Cette problématique fait partie d’une théorie de dénégation irrecevable. Le grand reset n’est pas une vue de l’esprit africaine que l’on sache. Imbu d’orgueil et sans doute confiant de son hégémonie, l’Occident a écrit en noir et blanc ses visées sur le monde. Lire à ce sujet « les protocoles de Toronto ». Mais lorsqu’on expose ces intentions malsaines, certains esprits prennent plume pour réfuter cette réalité.
La déconstruction visant les thèses panafricaines aborde aussi la problématique de la monnaie. Justement, investiguant sur les monnaies africaines adossées à celles européennes, tel le cas du franc CFA, il est rationnel de poser la question : à qui profite-t-il ? Est-ce une entreprise désintéressée sur l’Afrique ? Si tel était le cas, la rétention d’une partie des revenus africains sur des comptes d’opérations à la Banque de France n’aurait pas droit de cité. Ou encore, le franc CFA serait convertible au niveau international. D’évidence, il y a encore des africains qui choisissent volontairement de demeurer des enfants pour lesquels l’Occident gère en leur nom la stabilité monétaire et économique. Que y gagnent-ils, reste la grande interrogation.
Nous déclarons que la monnaie est l’un des piliers de la souveraineté. La monnaie permet les échanges dans l’espace économique où elle a cours. Avec l’extérieur, c’est le troc qui prend plusieurs formes : devise, matière première, produit manufacturés ou technologiques. Le troc existe depuis la nuit des temps. Quand un État n’est pas propriétaire de sa monnaie, il devient l’esclave de l’émetteur qui voit l’autre en concurrent sur le plan économique. Le franc CFA est une monnaie propriété de la France. C’est donc une devise virtuelle que la France, par coercition, peut bloquer l’émission, la diffusion ou l’injecter par perfusion dans les économies dépendantes. Ce n’est pas un hasard si les occidentaux se sont acharnés à détruire et imposer des monnaies dérivées des leurs sur le continent. Ce qui est à noter dans cette relation de dérivée, c’est que la monnaie dérivée repose sur les actifs (richesses) du pays colonisé, actifs séquestrés ensuite par la métropole. Le cas du franc CFA avec les comptes d’opérations. C’est parce que la monnaie est un domaine de souveraineté. Sans cette souveraineté, on reste un otage économique. Et c’est l’objectif affirmé de l’Occident sur l’Afrique.
Nous soulignons que la polémique sur le blé russe ou ukrainien est une dérobade. Il suffit d’évaluer le pourcentage du blé dans l’alimentation africaine pour comprendre l’alibi d’une Afrique menacée de famine. Au lieu d’incriminer la Russie partenaire des indépendances africaines, ces auteurs feraient mieux d’argumenter sur les 97% de ce blé qui prend la destination européenne. L’essor économique africain de ces dernières décennies est l’œuvre de partenariats bilatéraux diversifiés, notamment avec la Chine. Bien que malheureusement cette Afrique recours à la dette. Mais, il y a tout de même un distinguo à faire entre la Russie et l’Occident en Afrique. La présence russe apporte la capacité militaire nécessaire contre la déstabilisation extérieure. Cette présence se fait par la prestation de services de sécurité. Tandis que la présence occidentale vise le renforcement du statu quo colonial par l’implantation du terrorisme. Ce n’est pas la même chose.
Le changement de maître est aussi l’autre argument des déconstructeurs habitués à voir la géopolitique en maître et esclave. Cet argument sert d’appui à la condamnation des coups d’État, notamment ceux du Sahel, sous prétexte de légalité constitutionnelle. Malheureusement ce discours d’esclaves de maison inconfortés, manque d’écho face au logiciel occidental tant abîmé.
Nous déclarons que le panafricanisme, mouvement d’émancipation, n’a pas besoin de maître. Il est donc inutile d’épouvanter les esprits avec l’agitation du slogan « nouveau maître ». En revanche, l’opinion fondée sur cet argument exprime implicitement que les auteurs s’accommodent bien de l’ancien maître preneur d’otage des économies africaines, de la monnaie et des libertés fondamentales.
La Russie, rappelons-le, a une probité morale au-dessus des européens. En effet, bien qu’ayant participé à la Conférence de Berlin de 1885, la Russie s’est abstenue de posséder des colonies en terres africaines. Ni nulle part ailleurs. Mieux, elle a combattu le projet colonial européen et a soutenu les indépendances africaines. Cette intégrité morale accorde à la Russie l’estime et la confiance panafricaine.
Cependant, nous affirmons que l’unique déconstruction qui mérite sa place dans ce débat est celle de la déconstruction des paradigmes occidentaux. En effet, le procès moral fait à l’occident est légitime. Les occidentaux sont arrivés en Afrique, ils ont commencé à démolir les royaumes existants puis réduits les autochtones en indigènes. Ensuite, ils ont dénié le droit aux défenseurs de la liberté africaine, tels que Matswa André, Mvuluzi Kimbangu.
Sur le paradigme de la légitimité, la France a défait par coup d’État sanglant le régime constitutionnel de Lissouba pour y substituer le régime clanique de Sassou-Nguesso. Où est la morale ? Inutile de chercher la réponse plus loin. Hubert Védrine, ancien ministre sous Jospin, a déjà répondu « la France préfère une présence critique aux côtés de Sassou-Nguesso qu’une absence moralisatrice ». C’est là toute la quintessence odieuse et indéfendable de la géopolitique occidentale sous-traitée par la France.
Nous espérons que cet exemple siffle bien dans les oreilles des déconstructeurs Congolais.
Soulignons aussi que l’intention inavouée, derrière les théories de déconstruction contre le panafricanisme, est le besoin d’absoudre la pensée occidentale de sa doctrine de domination inscrite dans la charte de l’impérialisme codifiée ainsi :
-
Un leadership mondial érigé en communauté internationale.
-
Une légitimité sur les États distribuée à sa guise par l’Occident. Il n’y a de légitime que les États reconnus par les occidentaux.
-
Une appropriation par l’Occident des valeurs dites universelles. L’ACTE déclare qu’il n’y a d’universel que la nature. C’est-à-dire, ce sur quoi l’homme n’a pas d’emprise. Tel que l’air, l’eau, le feu, la terre. La morale, l’État de Droit sont des notions civilisationnelles relatives. Quiconque a lu le professeur Côme Mankassa comprendra que chez les pygmées, la justice est une rationalité domestique.
Le panafricanisme a certes de grands défis à relever. Mais c’est un processus graduel qui atteindra inexorablement son but.
L’un de ses défis est de sortir l’Afrique de la vision économique où elle agit comme une simple carte minière exploitée par les autres. L’économie, c’est d’abord le développement endogène, puis l’échange en fonction des besoins. Disposer d’une ressource n’est pas une compétence. C’est le savoir-faire (c’est-à-dire, découvrir, exploiter et traiter) qui détermine la compétence et crée la richesse. De même, commercialiser une ressource n’est pas une nécessité, mais une possibilité.
L’autre défi est de sortir du paradigme d’intérêt mis en avant par l’Occident pour justifier sa politique. L’intérêt ne doit pas être ce besoin déterminé par l’extérieur. Il est avant tout un besoin endogène, partagé par nécessité ou sur demande. Parce qu’en matière économique, il n’y a que des intérêts partagés. Car l’économie est fondée sur une loi : l’Offre et la Demande. C’est l’intérêt mutuel qui motive l’échange. En d’autres termes, le marché se conclut lorsque les parties contractuelles trouvent chacune satisfaction. Autrement, la transaction ne peut avoir lieu sans satisfaction mutuelle. Ce mécanisme est la loi du marché. Lorsqu’elle est violée, la partie lésée est en droit de le dénoncer. S’opposer à la rétractation relève du terrorisme de grande puissance.
Par ailleurs, les États ne sont pas tenus de s’incliner devant la loi du Capital. Un Capital, dans un contexte économique normal, c’est-à-dire un contexte où chacune des parties est libre, ce capital négocie sans garantie de succès. Mais dans le paradigme occidental, l’insuccès se traduit trop souvent en violence devant un État plus faible. Cela a été le cas de l’opium utilisé par les Anglais pour forcer le commerce avec la Chine. C’est politiquement immoral. Raison pour laquelle les États africains doivent se prémunir contre ce terrorisme de grande puissance.
En posant les bases de compréhension des notions d’intérêt, de Capital et de monnaie, les États africains sauront fixer les limites de la coopération économique, en assurant la défense souveraine de leurs ressources. Ils doivent considérer que l’Intérêt ou l’investissement qui s’accompagne d’une expropriation de souveraineté, de spoliation par la force, relève du terrorisme. En clair, une déclaration de guerre.
En définitive, qu’on se comprenne bien. Le panafricanisme n’est pas hostile à tout échange avec l’Occident. Il permet seulement à l’Afrique souveraine de disposer de ses ressources, et de les commercialiser selon ses intérêts en fixant ses prix dans sa monnaie souveraine. L’Occident pourra naturellement acquérir ces ressources mais au prix du marché. Sans doute que dans ces conditions, il lui sera difficile de spéculer, c’est-à-dire extraire ici et vendre là-bas, à des clients capables eux-mêmes de s’approvisionner à la source.
Le panafricanisme n’est pas une idéologie pour affaiblir l’Occident. Si d’aventure l’Occident s’effondre, cela résulterait de ses choix géopolitiques mal calibrés et par l’extraversion de son économie qui repose sur de l’énergie importée. Le panafricanisme est bien l’Afrique qui se réveille et se prend en charge.
Né-MFUMU Madisu-Ma-Bimangu
Août 2023, Paris-France