À la lumière de Benoît Moundélé-Ngollo qui a écrit que, « le Congo est malade, très malade[1] », on pourrait légitimement se poser une première question à savoir : de quoi souffre le Congo ? Et comment traiter ce mal une fois identifié ?
Cette maladie jusque-là indéfinissable a revêtu le terme générique de « Mal congolais ».
Un « Mal congolais », qui semble-t-il, traduit toutes les peines qu’endure le Congo à se constituer en Nation, à se doter des institutions fortes, garantes de la justice et la paix sociales, et à disposer des hommes capables de les conduire objectivement en toute impartialité.
La genèse de l’état congolais
Le Congo dans ses frontières actuelles, constitutives de plusieurs ethnies de cultures différentes, procède du processus colonial français et de ses avatars.
De ce processus ont découlé les éléments fondateurs de la Nation congolaise notamment, la formation du territoire et son administration, la définition d’un cadre étatique, la formation des élites et l’organisation de la vie politique et économique.
En conséquence, le fait colonial a induit, pour cette diversité ethnique, une homogénéité et une continuité historique qui, combinée à d’autres facteurs tels que la soumission au même gouvernement colonial, l’usage commun de la langue coloniale et la participation à la vie économique du territoire, a favorisé embryogenèse de la conscience nationale et du vivre ensemble.
À ce processus d’édification nationale participent aussi les résistances à l’occupation et les revendications et les luttes pour l’indépendance.
La Démocratie : tare congénitale ou creuset ?
Outre le cadre étatique, le mode gouvernement à savoir le multipartisme démocratique à l’orée des années 60 fut également un héritage de la colonisation. Ainsi il incombait aux légataires de ce cadre, la tâche de conduire les destinées du pays.
Seulement les joutes électorales, sur fond de manipulations politiques, à l’orée des indépendances avaient réveillé les inimitiés tribales allant jusqu’à menacer les fondements de la République naissante.
C’est sur ces griefs que se cristalliseront les 60 ans d’histoire politique chargés de tristes et douloureuses épreuves symptomatiques du « Mal congolais« , jusqu’à ce jour.
Si jusque-là l’intangibilité des frontières, l’unicité du territoire ou l’indivisibilité de la république sont acquises, bien malgré l’émergence de groupuscules sécessionnistes au sein de la Diaspora congolaise de France, le processus d’édification nationale achoppe toujours sur la question institutionnelle : Quelles institutions pourraient parvenir à garantir la paix civile et la concorde nationale ?
Depuis son accès à l’indépendance le Congo s’est essayé au monopartisme et au multipartisme sans succès. Si la révocation du monopartisme et l’adoption de la démocratie et du multipartisme comme principe de gouvernement, actée par la déclaration finale du Congrès extraordinaire du PCT du 10 décembre 1990 et entérinée par les conclusions de la Conférence Nationale Souveraine de 1991, sont devenues inaliénables et intangibles, il reste à définir le contenu et les règles devant régir cette démocratie et garantir son bon fonctionnement.
Dans les faits, partant de la Conférence Nationale Souveraine, toutes les Constitutions abrogées et adoptées jusque-là, à défaut de faire l’unanimité, n’ont ni servi de barrières à l’émergence d’une oligarchie tribale, ni permis au pays de recouvrir un climat politique apaisé.
Faiblesse juridique et fiabilité des ‘’hommes d’État’’
Au gré des opportunismes et sur fond de violences, on a assisté tour à tour à des aller-retours, entre les régime semi-parlementaire et présidentiel sans qu’on ne sache réellement lequel sied exactement à la réalité sociale et culturelle du Congo.
Du semi-parlementarisme post-Conférence nationale Souveraine à la base de la première crise démocratique, au néo semi-parlementarisme issu du Référendum constitutionnel de novembre 2015, en passant par le présidentialisme issu de la Constitution du 20 janvier 2002, le Congo n’est toujours pas à l’abri d’une énième tentative d’installation d’un régime de quelqu’ autre nature à l’avenir et servir de nouveau de laboratoire institutionnel.
La vérité est comme l’écrit Aimé Matsika[2] que » « le mal congolais » n’est pas seulement dû à une constitution inappropriée.
Si pour ce dernier, le mal est alimenté par trop de politique, mal dont il attribue la cause à quinze griefs ou contentieux. Il n’a pas manqué de souligner que ces griefs relevaient des mauvais choix opérés par les leaders politiques responsables des guerres civiles et de leurs effets collatéraux.
Dans cette même quête, Sylvestre Souka[3] pointait quant à lui la responsabilité de la jeunesse à l’aune des indépendances.
Idem pour le journaliste Émile Gakama[4] qui dresse le même constat et met en évidence les erreurs d’une jeunesse qui a raté l’occasion de briller lors de la Conférence Nationale Souveraine à l’issue de laquelle le pays est retombé dans ces travers malgré les objectifs qu’elle s’était fixée et les retombées positives qu’on attendait d’elle.
En somme, le mal congolais découle de la faillite de l’unité de l’élite politique.
La septicémie de la politique congolaise
Le manque de sursaut et de volonté politique commune, l’absence d’éthique et de probité sont très caractéristiques au sein de l’élite politique. « Le mal congolais » se révèle comme une affection généralisée qui touche tous les organes devant assurer la vitalité démocratique et économique du pays : des institutions aux hommes.
Cette faillite s’est révélée également dans toutes les tentatives de transformation de l’homme congolais à travers les changements institutionnels intervenus au cours de l’histoire, véritables aubaines et ce, en dépit d’une succession de générations.
On notera l’échec de l’émergence du véritable socialiste congolais initié en 1963 couplé avec celui du nouveau démocrate congolais amorcé en 1991.
L’incubation du germe de l’incorrigibilité
Ces échecs traduisent également l’incorrigibilité régnante dans l’espace politique congolais.
Ce trait de caractère est maintenu par la transmissibilité générationnelle, savamment entretenue par les hommes politiques, des haines et frustrations accumulées depuis les premières joutes électorales à l’orée de l’indépendance. Cela s’est illustré par la formation des alliances politiques lors des élections de 1992.
Vieilles inimitiés et alliances nouvelles
En 1992, l’établissement des nouvelles alliances politiques se confondaient aux vieilles alliances politiques de la période pré-indépendance et des inimitiés qui les fondèrent. Les faits étant têtus, la rupture de ces alliances intervenue fut encore sanglante avec son lot de stigmates.
A l’échec de leurs recompositions à l’issu de la guerre de 1997 sur fond de malentendu institutionnel se joint la reconfiguration d’un espace politique constitué de factions politiques devenues irréconciliables, du fait de leur incapacité à faire, chacune de son côté, l’inventaire de leur gouvernance, à en tirer les leçons et se lancer résolument dans la voie de réconciliation et la démocratie pour le bien de tous et de la Nation.
Comment remédier au « Mal congolais » ?
Comment alors solder ce passif, afin de sceller à jamais le pacte de la paix et asseoir notre pays sur les bases d’une justice équitable pour son développement ?
C’est la tâche à laquelle devraient s’atteler celles et ceux qui, en se rasant chaque matin, rêvent de gouverner notre pays pour qu’enfin nous n’emportions pas dans l’ après-Sassou les vices qui caractérisent notre présent.
Armand mandziono Butélézi le Vindumuneur Mushi Nzo Congo.
[1] Moundélé-Ngollo Benoît, Adieu mes lecteurs : le mwana ntsouka de mes livres, Les impliqués Ed, 2019,187p.
[2] Matsika Aimé, Les origines du mal Congolais, Paaris Éditeur, 2019,199 p.
[3] Souka Sylvestre, Le Mal Congolais : origines de la ruine du Congo Brazzaville, Ed. l’Harmattan, 2010, 228p.
[4] Gakama Émile, Congo Brazzaville : la clameur démocratique des années 1990, Ed. l’Harmattan, 2008, 132p.